Après mon accouchement qui a bien failli se terminer en césarienne d’urgence, je me suis sentie trahie, par mon corps qui était censé savoir accoucher, par ma sage-femme, par tous ces récits de naissance idylliques dont je m’étais abreuvée. J’ai aussi accusé mon obstination, mon entêtement à réussir. Oui, je voulais réussir. J’étais convaincue que j’allais réussir. Dans ma préparation mentale, j’avais envisagé que les choses pouvaient mal se passer, mais c’était pour exorciser ma peur. Je n’y croyais pas. Je m’étais avant tout concentrée à apprivoiser cette douleur inconnue que je voulais affronter.
Quand tout a dérapé, que l’échec a surgi comme un spectre, sur l’autre planète sur laquelle, pourtant, j’avais été transportée, une autre sage-femme, venue en appui, m’a parlé doucement. Je ne me rappelle que sa voix douce et consolatrice et peut-être quelques mots, « on ne peut pas tout contrôler », « lâcher-prise ». Est-ce les mots qu’elle a employés je ne sais pas. Je me souviens que je ne comprenais pas ce qu’elle disait, juste que sa voix m’apportait comme une ombre de soulagement. Contrôle? Je ne me sentais pas concernée. Comment pouvais-je plus lâcher-prise? Comment pouvais-je plus me laisser aller? Que pouvais-je contrôler quand la douleur me prenait et m’étreignait avec une force inouïe puis me rendait au monde comme un navire échoué sur une plage? J’avais accepté cette douleur, et la colère, et la lassitude, et la joie, et la peur, et l’impatience, toutes les émotions qui jaillissaient comme une foule hurlante et murmurante à la fois. Que pouvais-je lâcher encore, que pouvais-je laisser encore échapper de moi, sinon cet être étrange qui m’habitait?
Qui m’habitait et tardait à prendre son envol, tête défléchie, ça n’arrive qu’une fois sur dix. Alors? Le hasard? L’absence de hasard? Un noeud bien emmêlé de petits fils, faudrait-il tirer sur chacun pour remonter jusqu’au coeur?
Depuis des mois, ce besoin de réponses me poursuit comme un essaim d’abeilles.
Et puis, ces jours-ci, une lueur de compréhension semble faire route jusqu’à moi. Un point de lumière dans la brume qui m’enveloppe. Je ne saurais le traduire en mots, tellement c’est ténu.
Mais voilà qu’un voile sombre s’est envolé…
J’aime beaucoup ta façon de parler de cette vision des choses, de la « réussite » d’un accouchement, d’un « échec » possible. C’est troublant mais tellement réel.
Plaisir de voir tes voiles sombres s’envoler …
Plaisir de te trouver ici. si vraie;
Merci
c’est certainement ce point de lumière que j’aimerai le plus connaitre ( rhooo la curieuse…). quel chemin parcouru… ces mots sont magnifiques.