Une rencontre au coin du ciel

Tu es apparu et je t’ai aperçu du coin de l’œil
Mais dans le filet de l’ombre et de la lumière je n’aurais pu dire si tu étais l’ombre ou la lumière
Et puis j’ai su que tu avais bougé à ce frémissement soudain de la rosée
Mais je n’ai jamais pu savoir si tu étais dans le réseau des branches nues ou dans les morceaux découpés du ciel
J’ai ouvert toutes les portes du couloir pour suivre tes mouvements fugaces
Mais quand je croyais te saisir je ne tenais plus entre mes doigts que le fil dévidé infiniment d’un accroc dans ton ombre
Tu étais peut-être l’ombre
Ou peut-être la lumière

Quand tu es apparu toute la rumeur du monde s’est tue
absorbée par ta présence
Mais je ne te voyais pas
Peut-être t’étais-tu dissimulé dans l’épaisseur dorée des grains de lumière en suspension
Peut-être que tu étais l’air devenu liquide
Ou l’eau de chacune des gouttes de la pluie
qui tombe dans le bassin où tu venais t’abreuver
Tu me faisais des signes
Mais je ne les comprenais pas

À chacun de tes pas poussaient en un instant sous tes pieds des fleurs sauvages
écloses puis aussitôt fanées
vibrantes dans l’éclat discret de leurs couleurs
embaumant l’air immobile
puis soudain mourantes et mortes
Car tu étais sans nul doute le germe et la vie
la brûlure du temps l’extinction et la mort
Tu n’étais peut-être pas la vie
Peut-être pas la mort
Peut-être étais-tu le passage
la fleur et l’humus
l’arbre et le nuage

La porte s’ouvrait dans un grincement et je savais que tu étais là
Il y avait eu cet éclair infime accroché au coin de mon œil
Et cette résorption des bruits intimes de la maison
Tu étais peut-être ce silence
Tu étais peut-être la maison

Tu me parlais sans paroles
Caché dans l’ombre glissante de mon fauteuil
Ou tout à coup suspendu à l’ampoule au plafond
Je le savais car les feuilles découpées du lierre avaient frémi sous tes bonds légers
Tu me parlais cette langue inconnue
Mais tout ce que je percevais c’était un chuintement subtil près de l’oreille
Ou le vrombissement lointain d’une abeille

Et puis un jour tu n’es plus venu
Je t’ai cherché dans la palpitation douce de l’ombre et de la lumière
Dans le regard pas encore éteint de la vieille dame dans le jardin
Je t’ai cherché à la tombée du soir derrière les premières étoiles
J’ai cherché le silence que tu étais
J’ai couru à en perdre haleine
Ton absence était aussi palpable que ta présence était insaisissable
Je me suis couchée sur la mousse au bord de l’eau
Et j’ai tiré sur moi la couverture et le drap
Et j’y ai lu soudain l’adieu que tu y avais brodé
au fil des jours

9 réflexions sur « Une rencontre au coin du ciel »

  1. Giga beau .
    C’est d’une exquise fragilité .

     » J’ai cherché le silence que tu étais « …

    Comment mieux exprimer l’éperdu de l’absence ?

  2. Bienvenue Sophie, et merci pour votre lecture et votre chaleureuse appréciation.

    Mamzelle, l’engloutissement, c’est quelque chose qui me parle :-)

    Lebrac, « giga beau » !? Je ne sais plus où me mettre tellement je me sens petite.

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