…
À l’aube qui tombe du rêve qui erre
Enfant frêle du silence au détour
D’une dune immobile
…
Avec mon corps inerte je m’accroche
Et tu traces une ligne de couleur
Au milieu de mon visage que tu encoches
Jusqu’à mes pieds au travers du cœur
…
Et je voudrais ne plus sentir l’heure
Seulement ne pas voir l’acrobate qui s’enlise
Et fait couler le silence qui aux lèvres affleure
…
Archives de l’auteur : Serenissime
Rentrer au port
Avant de fermer les yeux
avoir froid, bouillir, bruire, claquer des dents, clignoter, cuire, être secoué, frémir, friser, grelotter, onduler, panteler, remuer, s’agiter, scintiller, souffrir du froid, trembler, trembloter, trémuler, tressaillir, vaciller, vibrer
[Vases] Six pieds [communicants]
François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée des Vases Communicants.
Aujourd’hui La Méduse et le renard et Enfantissages s’invitent réciproquement.
***
Six pieds
Il a déterré six pieds. Différentes pointures, mais de beaux pieds. De ceux dont on se satisfait qu’ils marchent dans les excréments, de ceux qui laissent le mauvais pied se lever à leur place. Il les a bichonnés, les a cirés, les a apprêtés en grandes pompes, les a brossés dans le sens du poil. Sur le chemin du retour, il ne pouvait s’empêcher de jeter un œil sur les pieds qu’il avait disposés en éventail dans sa besace. Il les tripotait machinalement, et quand sa main se refermait sur l’un d’eux ils étaient comme pieds et poings liés. Sur un pied d’égalité. Il se demandait pourquoi les mains avaient toutes les faveurs qui manquaient aux pieds.
Une fois chez lui, il a trouvé chaussure à chaque pied. De beaux souliers vernis, brillants comme du poil de renard dans l’huile d’olive. Il les a disposés sur une vieille commode qui n’avait pas accueilli de pieds depuis qu’on avait accroché les vieux tableaux de son arrière grand-mère très haut sur le mur du salon.
Cette nuit-là, il n’a pas dormi. Trop absorbé à contempler ses pieds. De ravissantes sculptures, des bouts de chair humaine taillés sur mesure pour les six souliers vernis qui les attendaient. Chaque fois qu’il clignait des yeux, il redécouvrait de nouveau ses pieds dans leurs souliers. Il faut dire qu’ils n’étaient pas mal non plus les souliers. Ils avalaient la lumière de la pièce et ne la rendaient pas. Ils étaient protecteurs. Noirs, très noirs, de belles pompes funèbres dans la lueur de la bougie. Sur le matin, il s’est endormi. Il n’a pas pu lutter. Mais quand il s’est réveillé, ils étaient toujours là. Il a souri. De ces sourires dont on se décrocherait la mâchoire, assurément. Mais quand il a baissé la tête, il a bien vu que lui n’avait toujours pas de pieds. Il s’est tout de même senti chanceux. C’était pas donné à tous les culs-de-jatte, d’avoir six pieds flambants neufs sur la commode du salon.
Les autres participants:
Ligne de vie et Balmolok
Biffures Chroniques et L’arbre à palabres
Frédérique Martin et Humeur noirte
Annie Rioux et Philippe Maurel
Tentatives et Brigitte Célérier
Pierre Ménard et Joachim Séné
A chat perché et Kill me Sarah
Petite racine et Juliette Mézenc
Et le chemin vers mon texte accueilli par mon complice : http://lameduseetlerenard.blogspot.com/2009/11/special-vases-communicants.html
La courbe de l’attente
D’un simple saut j’ai plongé mes doigts de pieds dans une mer indécise et le mur derrière lequel j’ai regardé s’est écroulé soudain.
Et toi assis sur le banc sous le platane tu fais défiler les paysages en clignant de l’œil tu reprises ta chemise tu tiens la ficelle d’un cerf-volant tu construis un nichoir à oiseaux.
En regardant par dessus mon épaule c’est le dos de l’absent que j’ai vu.
Et toi qui ravaudes tes chaussettes tu contemples les courbes des vallées ou les oasis dissimulées dans la faille du monde.
Je t’ai donné rendez-vous dans la ville en ruine léchée par les vagues au pied d’une colonne en haut de laquelle niche une cigogne.
Et toi tu te balances au rythme du battement des nuages.
D’un simple saut j’ai franchi un ruisseau avant la débâcle j’ai frissonné trembloté grelotté et puis j’ai vacillé dans la lumière indécise de l’horizon vide.
Si tu aimes la nuit
Si Tu Aimes la Nuit,
Tu as posé le pied sur la ligne
Qui me sépare du monde
Je me suis toujours demandée
Par quels chemins tu avais
Saisi ce fil étrangerTu as fait apparaître
Une cascade de mots en litanie
Derrière laquelle j’attends
Mon ombre allongée
Je me suis toujours demandée
Comment tu avais su
Tirer ce trait messagerIl a dit
“Créer des liens”
Je suis derrière la cascade
Rideau fêlure d’un monde
Ombre d’une ombre
Sur le mur d’eau en fusion
Aux vagues perséphonesIl a dit
“Si, j’y gagne, à cause de la couleur du blé”
Et il faudra dire
Tu pourrais ne jamais revenir
Tu pourrais avoir perdu le fil
Derrière une cascade opaque et sombreEt je dirai
Si, j’y gagne, à cause d’une cascade
Une tourelle, une plage d’or fondu
A cause des étoiles dans le sable
Et des mystères irrésolus
L’heure funambule
Midi c’est le fil invisible qui sépare un monde en deux. Midi c’est le pont changeur qui relie deux mondes. Midi c’est le profil du temps qu’on voudrait voir de face. Midi c’est autant la face du monde que Le Monde Vu de Dos. Midi est une ligne de front où combattent les heures perdues. Il est midi. Et le funambule vous remercie.
La falaise blanche
Escalader la falaise. Au bord, je frémis. Paralysée sur une corniche, j’aperçois un oiseau bleu. Je lui envie ses ailes frêles. Plaquée à la muraille, mon corps meurtri n’aime pas cette étreinte griffue. Dans les hauteurs, un infini. Dans les profondeurs, un infini. L’univers se referme sur moi en une bulle de vide d’où je vais renaître. Aussi petite qu’un point sans substance, je cherche la droite qui passe par mon centre pour m’y fondre. J’oublierai tout, je fermerai les yeux et…
(Rendez-vous au sommet de la falaise)
Jour de congé
Quelque chose de moi s’est enfui. J’ai juste pris ma soirée me dit-elle. Mais quand tu t’en vas, le silence s’installe à ta place. Pas ce silence transparent, plein et vide à la fois, que j’invite volontiers chez moi. Qui peut m’habiter en même temps que toi. Non, une autre espèce, gluante, intruse, sans gêne. Qui noie les étincelles dans une pâte à beignet, qui repeint les murs d’une couleur floue et poisseuse, qui choisit de prendre ses quartiers dans mon front. Juste ici, vous voyez ? Comme si ma tête n’était pas assez lourde et mes souvenirs pas assez lointains. Reviens, je t’en conjure ! J’augmenterai tes gages, je t’accorderai plus de temps et plus d’attention. Je te laisserai des petits mots d’amour un peu partout, sur le miroir de la salle de bain, dans la boîte à thé, à côté de tes stylos bien rangés, dans tes chaussons, sur la porte du jardin. Je te laisserai vagabonder, et même pieds nus, si tu le veux. Je te laisserai jouer les funambules sur la corde à linge. Je te laisserai sauter dans les flaques d’eau. Reviens, reviens. Reviens.
Rien aujourd’hui
Muette ce soir. Ou trop pressée. Ou distraite. Ou fatiguée. Allons nous glisser sous les draps glacés. En attendant.
Je glane tes mots
Je glane tes mots
En épis côtiersPour entendre encore
Ton rire d’écumeQuand tu glisses
Sur tes épaules rondesCette roide étole
De bure brillante*
Tes mots grains à moudre
S’accrochent à ma chemiseEt tu ris du désordre
De mes cheveux d’embrunsJe lisserai leurs vagues
Quand le mot amour en cageEffeuillé en grains de sable
Aura quitté tes lèvres de corail*
Bouclier percé
Ou Digue ébréchéeTes mots s’écoulent
Et je les moissonneDans le courant
D’un chemin étroitOù pousse l’ortie
Qui tisse ta robe bleue*
Crêtes moutonnantes
Je caresse tes motsQui se mélangent
Au plantain lancéoléDans cette prairie
De ton rireEn forme de goutte de pluie
Où je me suis endormie
La mésange
Tu gisais devant la porte
Ton corps
Minuscule et magnifique
Tenait dans le creux
De ma mainAvec au cœur
L’espoir thaumaturge
J’ai fait ce geste
De la mère à l’enfant
J’ai caressé
Doucement tes ailes bleues
Ton duvet grisTu aurais pu être
Comme un nourrisson endormi
Si petit et aussi peu
Rigide qu’un baigneurLa pauvre, la pauvre
Disait doucement
Ma toute-petite
Qui ne connaît la mort
Que celle dont on se relèveMais tu n’as pas frémi
En guise d’adieu
Nous avons soufflé
Pour toi
Une salve de bullesDans le couchant
Séisme
Quand la glaise
Palpite
Sous les doigts
Quand la terre
Tremble
Sous les cielsUne barque
S’échoue
Sur un rivage
Une vague
Se brise
Sur un écueilEt
Les arbres
Frémissent
Dans l’ombre
Les oiseaux
Chantent
Dans la nuitQuand la lune
Se dissout
Dans la brume
Quand la lumière
Se recroqueville
Dans l’étoileÉteinte
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Passagère

©Aurélie Zara
J’ignore sur quelle sorte de pont ou d’esquif je poursuis ma traversée, arche ou passerelle, bac ou caravelle. Quelle que soit ma route, elle n’a qu’un sens, comme celle des astres. Mais au milieu de ma révolution je peux aller à reculons et regarder en arrière, affrontée à un mur invisible qui me repousse vers mon couchant. Nulle halte n’est permise, l’océan n’est jamais étale, le vent jamais ne tombe. Mer belle ou démontée, ballottée ou arrimée à la barre, j’avance, la peur au ventre ou dans l’ivresse de l’instant.