Les voix se mêlent pour que se forme la parole indéchiffrable, secret de la séparation.
Archives de l’auteur : Serenissime
Présence de l’arbre
Je suis l’arbre
L’arbre me suit
Je l’enlace
Il me retient
Sa sève s’insinue
Dans mon sang
Et mon cœur
Pris dans l’entrelacs de ses branches
Bat comme le tam-tam des temps futurs
Je me fonds dans son écorce rude
Tandis que ses racines grondent en silence
Couronne d’un royaume souterrain
Ses feuilles aux limbes vibratiles
Me dévoilent et me dissimulent
Quand mes pieds s’enfoncent
Dans la terre noire au bord du vide
La nausée tend ses bras
Et je tombe dans la pupille croissante
De la nuit
Dissoute
Mais toi l’arbre
Tu n’as pas frémi
Enlace-moi
Et ferme les yeux
Echo des vases communicants
Vibration délicate, elle arrive tout d’abord avec langueur, elle s’installe sans déranger et puis un jour, tu t’aperçois de sa présence, tu la contemples, tu t’en étonnes. Elle s’est lovée sur elle-même, elle s’est alourdie d’un coup pour asseoir sa puissance, s’emparant du pouvoir avec autorité. Coup d’état d’âme !
Extrait de Lassitude, par Frédérique Martin. Lire le texte en entier chez Lignes de vie.
Mars, 1
Écoute, il ne fait pas froid. C’est ce vide qui façonne la forme cristalline de l’absence.
Révélation
J’ai perdu la moitié d’un autre, dis-je à ma tête fendue. Prends le deuil ou la fuite, me hurla la Colère, tandis que la Paix soupira : Pars à sa reconquête.
Mais toi, Colère, tu me laisses, en partant, comme un linge essoré tombé de sa corde.
J’étais ce drap blanc gonflé comme une voile. Échafaudant les délices de la fuite, fol esquif sans étoiles ni boussole.
Et toi, Paix, me diras-tu donc les méandres de ton plan d’invasion ? Comment entends-tu t’infiltrer derrière ces créneaux aveugles ?
« Voici que je me tiens à la porte, et je frappe, répondit-elle. Si quelqu’un entends ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. »
Puisse ma tête fendue avoir gardé une oreille.
Gravitation
Prenons une muse et coupons-la
Dans le sens de la longueur Dis-tu
D’ici j’entends la cause Scylla
De ta langueur diffuse têtue
Une trêve une pause décidée
Pour terminer ce rêve éveillé
Sur la lune marchons sur la tête
Un pied puis l’autre au bord de la crête
Liste
Création
Fleurs d’aube annulées
Perdues traversées
Attendez l’essaimage
Des jours en coupole
Cœurs d’étoile absorbés
Fendus égarés
Défendez le rivage
Des retours déformés
Suspendez ensemble
La lampe sourde
Et brûlante et cachée
Car Il a pris son envol
Le jardin atlantique
Gris de marine mer encerclée
La ville te retient en sa digue morte
Corps offert sous ta bise salée
Imaginaire l’orage t’a prise
Tu m’as prise pâle chair posée
Légère au creux de ta main
Elle frémit je ferme les yeux
La mer est montée
Dans notre désir nous serons noyés
Joncs et rochers regardent vers la porte
Close désormais en ton âme éprise
Tu me retiens en ce jardin
Je suis assise au coeur de ma nuit
Je suis assise au cœur de ma nuit
Immobile et mouvante comme l’arbre qui sait
La lune jette sa clarté sur un peuple qui se tait
et murmure
Invisible pour mon cœur sourd et muet
Qu’un mot seul
Suffirait à guérir
Aujourd’hui
Il est vain de chercher un sens à sa vie, à la Vie. La vie est là pour elle-même. Elle a commencé et s’éteindra, mais elle est aussi comme le temps et comme l’espace, elle n’a ni commencement, ni fin.
C’est si simple. Nous sommes partie d’un tout. Nous nous croyons séparés et pourtant nous sommes reliés. Nous avons juste perdu la faculté de percevoir l’infinie continuité entre chacun de nos atomes et tous les autres atomes.
Nous nous croyons seuls au milieu de nos semblables. Seuls face à nous-mêmes, séparés de nous. Seul en naissant, seul en mourant. Aveugle et sourd à cette lumière vibrante qui nous enveloppe et nous traverse, nous réchauffe et nous guérit, nous chuchote au creux du cœur une tendresse au-delà des mots.
Vivons la vie. Dormons, rions, croquons aux fruits exquis qu’une main invisible nous tend. Exerçons nos corps, marchons, nageons et grimpons, dans cet univers qui n’attend rien d’autre de nous que nous soyons enfin.
Si j’écrivais
Si j’écrivais, ce serait sur ma paralysie. Mais ma paralysie m’empêche d’écrire. Je parle de cette carapace intérieure qui se pétrifie au fil du temps. Belle excuse en vérité que de pointer du doigt la statue qui n’est autre que moi. Elle pense alors que pour raconter une histoire elle pourrait bien utiliser la troisième personne. Tant qu’à se mettre à distance, ce sera elle. Elle décida aussi de parler au passé. C’était une histoire qui se raconterait à l’imparfait, à l’imperfection. Au passé simple, simplifié.
Elle ouvrit la porte. C’est comme ça qu’elle imaginait le début d’une histoire. Un geste presque fondateur. Se lever, se diriger vers la porte, saisir la poignée, hésiter un bref instant, le cœur battant, comme au seuil d’une transformation, attendue et crainte.
Elle ouvrit la porte. Descendit les marches, parcourant la spirale des étages, comme un fœtus, tournant sur lui-même en sa mère pour naître à ce monde. Bien sûr, la lumière du soleil l’aveugla. Elle frissonna dans la fraîcheur du petit matin. Quoi de mieux que de sentir sa peau picotée par le froid pour se rappeler les frontières de son propre corps et sa propre présence charnelle, en dépit de tout, sa présence ici-bas. Au temps présent.
Elle fait un premier pas. Puis un autre. Avec la solennité authentique d’un rituel de purification. Elle voudrait se confondre avec ce personnage imaginaire qui ferme les yeux en prenant une grande respiration.
Elle posa un pied après l’autre sur le bitume, en faisant semblant de se laisser porter par le hasard.
Elle pouvait marcher sans fin et s’enfoncer dans l’inconnu, voyageuse sans bagages, libérée de tout, même d’elle-même. Légère comme la brume, poussée par la brise. Et l’histoire n’aurait pas d’autre fin que sa dissolution dans un monde où rien n’est séparé.
Elle pouvait rester ici, s’asseoir à la terrasse d’un café, devant la gare, et regarder passer les silhouettes laborieuses qui s’en échappent. Des silhouettes grises et noires sans plus d’épaisseur qu’une feuille de papier. L’une d’entre elle pendrait tout à coup de l’étoffe, un visage commencerait timidement à se dessiner, brouillé par la distance. Puis l’expression du visage se révèlerait, comme une vague lueur.
L’histoire elle-même pourrait-elle enfin commencer à se déployer? Le paysage restait désespérément vide. C’était comme si elle n’avait franchi aucune distance, marchant dans un décor qu’elle avait elle-même construit. La rencontre était-elle réellement possible dans un labyrinthe?
Elle referma la porte et recula dans l’ombre.
Mes cinq mots préférés
Tendresse
La tendresse, c’est l’amour tout en émotion et en sensation. Elle est chaleur et douceur, caresse de la main ou du regard, étreinte qui n’emprisonne pas son objet, sourire et détente du corps, expansion de l’esprit jusqu’à bercer le monde dans le balancement des jours.
Frugalité
La frugalité m’a toujours attirée comme un aimant, comme la promesse d’une vérité cachée. Je tends le bras vers elle pour la saisir comme un fruit dans l’arbre, que je peux effleurer du bout des doigts sans pouvoir l’atteindre.
Tourtille
C’est le nom d’un petite rue d’un vieux quartier populaire de Paris. Je ne saurais dire pourquoi, j’aime cette sonorité qui met un sourire sur mes lèvres : essayez vous verrez!
Liberté
Voilà l’un des mots les plus secrets qui soient et les plus fascinants! A-t-on assez d’une vie pour en percer le sens, le sens de l’existence? On la possède mais le plus souvent, on ne sait comment en jouir. Elle est là, juste là, mais elle se dérobe sans cesse. A moins que ce soit nous qui refusions de la voir.
Permaculture
Le mot-valise n’est pas beau, mais peut-être sauvera-t-il le monde?
Et vous, quels sont vos cinq mots préférés?
Dans le cercle
Je suis comme quelqu’un qui rêve de s’échapper d’une prison dont la porte est ouverte.
Une vie bouleversée
Je m’imprègne de ces mots d’Etty:
En disant: « J’ai réglé mes comptes avec la vie », je veux dire: l’éventualité de la mort est intégrée à ma vie; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie. A l’inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe: en excluant la mort de sa vie on se prive d’une vie complète, et en l’y accueillant on élargit et on enrichit sa vie.
Et ces mots-là aussi:
La vie est belle et pleine de sens dans son absurdité, pour peu que l’on sache y ménager une place pour tout et la porter tout entière en soi dans son unité; alors la vie, d’une manière ou d’une autre, forme un ensemble parfait. Dès qu’on refuse ou veut éliminer certains éléments, dès que l’on suit son bon plaisir et son caprice pour admettre tel aspect de la vie et en rejeter tel autre, alors la vie devient en effet absurde: dès lors que l’ensemble est perdu, tout devient arbitraire.
Et encore ceux-là:
La vie est si curieuse, si surprenante, si nuancée, et chaque tournant du chemin nous découvre une vue entièrement nouvelle. La plupart des gens ont une vision conventionnelle de la vie, or il faut s’affranchir intérieurement de tout, de toutes les représentations convenues, de tous les slogans, de toutes les idées sécurisantes, il faut avoir le courage de se détacher de tout, de toute norme et de tout critère conventionnel, il faut oser faire le grand bond dans le cosmos: alors la vie devient infiniment riche, elle déborde de dons, même au fond de la détresse.
Des mots si graves qui sont pourtant un appel à la légèreté, à se désencombrer de soi pour se retrouver entier. Faire le vide et atteindre la plénitude et glisser au fil de la vie, plutôt que de s’accrocher vainement à ses aspérités.
Voilà des mots bien graves pour une réapparition, peut-être, sans doute, éphémère, peut-être pas. Je suis émue de voir les traces de vos passages et tout à coup vous me manquez. Une douce nostalgie me saisit parfois et m’a poussée aujourd’hui jusqu’ici. Un désir de solitude, d’enveloppement dans un grand tout. Alors je suis venue murmurer quelques mots et ceux d’une autre, morte à Auschwitz, il y a 65 ans presque jour pour jour.