Le droit d’exister

Ce matin, j’ai le droit d’exister pour moi tout seul. Je prends le droit d’exister (…) Ce n’est plus cette sensation de vide qu’il faut remplir d’actes, de mots, d’oeuvres. Je goûte d’être immobile. J’existe d’avantage de ne rien faire (…) Exister justifie d’exister. C’est bon d’exister. Ça ne doit servir à rien d’exister. On n’est pas obligé de servir à quelque chose. On n’est obligé de servir à rien. On a le droit d’exister d’abord. (…) Jusqu’ici, il m’était incroyable qu’on puisse passer du temps sans rien faire et ne pas le sentir perdu. Le temps n’est pas rempli de ce qu’on y met. Mon temps se remplit par l’attention que je lui porte, par le goût que j’en prends, parce que je le considère, parce que je me considère, parce que je me suis restitué le droit d’exister.

Louis Evely, prêtre. Cité par Lytta Basset dans Paroles matinales, Labor et fides, 2003.

Une valse… peut-être

La tête enfouie dans mon ombre, j’erre sans but dans les méandres obscurs de la nuit. En pointillés, comme autant de traits tirés sur l’envers d’une page noircie. Les mots ne se laissent plus décrypter. Je la regarde, cette page, à la lumière jaune d’un réverbère, mais elle a glissé dans l’opacité, en suivant le dessin d’une feuille morte. Un air de valse s’est enroulé autour de ma taille et a envoyé tous les vertiges au ciel ou peut-être au diable. De loin, je vois cette fillette qui saute dans les flaques d’eau, figée pour l’éternité. A moins que ce ne soit mon regard qui ait pris le temps en otage. La pluie s’est arrêtée de tomber mais pas son crépitement sur les toits qui résonne comme un disque vinyle sur un vieux phonographe. Joue cette valse, écoute cette pulsation et laisse-moi m’échapper. Laisse-moi boire cette nuit jusqu’à la lie. Et disparaître dans le rêve de ce temps adagio qui vient.

Imprécision

Vide comme trop-plein
Profondeur comme vertige
Evasion comme bleu du ciel
Vie comme absence
Temps comme l’arc et la flèche
Nuit comme ailleurs
Aujourd’hui comme quête
Hier comme enquête
Absence comme itinérance
Eveil comme silence
Vide comme trop-plein

Ce paysage

J’écris tout ce que je vois. Comment le jour commence. Comment le jour finit.
J’ai entendu ces mots du coin de l’œil. Je ressens parfois cette lassitude de la quête qui jamais ne s’achève. Comme ce jour qui commence. Et comme ce jour qui jamais ne finit.
Dans les limbes de ma pensée, les paysages ont disparu. Et je reste là, immobile stylite recroquevillé dans mon ombre, cherchant dans l’ovale du miroir une courbe où m’assoupir, pour une éternité.
Mais la profondeur du temps s’est émoussée, embrassée dans une tourmente qui ne sait pas s’apaiser.
L’horizon piqueté par le sable semble gémir, ligne impossible qui m’enveloppe, chrysalide ou linceul, mais n’est-ce pas la même chose? Si le grain ne meurt, disait-il. Grain de sable rejeté par le ressac. Poli par les jours, poli par les nuits, par le vague soupir brisé de mes rêves.
S’il te plaît, ferme la porte, ferme la porte et laisse mes yeux sans larmes baisser la garde du soir, et guetter encore une fois, encore une fois, ce jour qui s’éteint.
Ce jour qui jamais ne finit.

Elégie

Triste ou tendre la voûte
Envolée par la porte
Dérobée dans ce cadre noir
Puits d’ombre écoute
L’arc qui se dissout
Quand viendra voir
Par la fente rayée
D’un volet déplié
Les feuilles mortes
Evaporées
Dans les vestiges du soir

D’autres portes et fenêtres.