Archives de l’auteur : Serenissime
Présents
Personne pour nous le dire
Cette prolifération soudaine
De pas anonymes surmontés
Des corps entre lesquels
Se faufiler jeu de quilles
Grandeur nature
Dans le labyrinthe
Mille fois arpentés
D’une ville lâchement
Déliée de nous
Désormais étrangers
Dans une ville
Familière
Étrangère
Désormais
Le jour le plus court
Dans ce monde
Soudain figé
On pourrait
Esquisser le trait
Fuyant d’un sourire
Ou d’un fil téléphonique
Ou d’une pointe de légèreté
J’ai cru soudain
Que la Seine
Pourrait déborder
Et je me suis vue
En train d’étendre
Mes rêves trempés
Et dégoulinants
Sur la corde esquissée
Et puis on m’a raconté
L’histoire d’un bus
Incapable de remonter
La pente d’une rue
transformée
En piste de ski
Et j’ai imaginé
Ce troupeau de citadins
Obligés de marcher
Je préfère
Dans ce monde
Plongé dans la nuit
La plus longue
Faire sécher mes rêves
Au feu de mes questions
Ou de mon chagrin
Ou de ma colère
Et boire une tasse
De sommeil
En guise de thé
Fondre et se liquéfier
Au fond des draps
Brûlants et gelés
J’ai sagement posé
Sur la table de nuit
Mes lunettes embuées
Le chant des derniers pas, 2
Chant II
Tu t’es approchée de la rive
Mais tu ne tiens pas debout
Toujours ces picotements
Dans ta main enflée
Tu as peur et tes larmes
Voudraient creuser un sillon
Sur tes joues pâles
Tu as peur sans pouvoir le dire
Où va-t-on t’emmener ?
Toutes ces blouses blanches
Jamais les mêmes
Où va-t-on t’emmener ?
Je te tiens la main
Et tu la serres fort
Les bords du fleuve
Se reflètent dans tes yeux
Et la brume filante aussi
Dans tes yeux rougis
Le chant des derniers pas (ébauche)
Chant I
Tu as beau ne plus pouvoir mouvoir
Ni ton bras ni ta jambe
Tu avances malgré toi
Sur la route
Dont seule aujourd’hui
Tu vois la fin
Tu marches seule devant
Et personne ne peut te suivre
Jusqu’à cette berge
Que toi seule tu aperçois
Et cette barque amarrée
Qui t’attend
Je sais qu’un voile de terreur
S’est déposé sur tes traits
Tu as peur seule
Devant ce fleuve immobile
Et large et noir et froid
Qu’on ne traverse qu’une seule fois
Page blanche
Pensée perdue
Quand je t’attends
Double rienLa page blanche
A recouvert les toits
Les routes et les champsPlume trempée
Dans l’encre sympathique
J’écrisJe ne t’attendrai plus
Liquide
J’ai laissé les mondes se répandre sur la page où ils ont puisé à la source je n’ai plus été soudain qu’une barque descendant les rapides j’ai laissé couler de ma bouche des flots de mots des flots de mots dans les rapides j’ai atteint l’endroit le lieu où m’échouer mais les mots n’ont cessé de s’écouler de ma bouche dans le vertige des lointains échos sirènes hurlantes ondines dans le flot glissantes vitesse accélérée des nuages dans la pulsation des herbes germinantes coquelicots fripés dans ma bouche sentir mon cœur battre à l’étroit dans la fente des yeux voir défiler les mondes encore et encore et se prendre dans mes cheveux liquides et ce rythme s’installer d’arbre en arbre couler de ma bouche rivière fleuve amazone l’eau puissante emporte toutes les vibrations dans son or fondu lave où se noyer où poser la barque par la fente de mes yeux je l’ai laissée partir avec le flots des mots qui s’échappent de ma bouche des mots ils prendront la forme de moi quand tout de moi aura coulé quand tout de moi aura fusionné dans le rythme des mondes pouls des vivants et des pierres goutte après goutte clepsydre des déserts où trouver la source je suis la barque je suis le temps les grains de sable du désert soulevés par le vent je suis le fleuve je suis le courant je suis les mots qui s’écoulent de ma bouche.
Super 8
Je t’ai regardée tournoyer dans ta grande robe et rire en noir et blanc comme dans un super 8 muet que je pourrais projeter encore et encore te regarder sans entendre ton rire comme un souvenir effiloché je pourrais te voir tournoyer au ralenti à l’infini sur une autre musique à chaque fois triste ou gaie ou répétitive ou emportée je t’ai regardée de plus en plus loin dans le paysage que j’ai collé derrière toi il y en aurait un par saison un pour la ville un pour le désert un pour la jungle un pour la campagne un pour le Sud un pour le Nord pour l’Est et l’Ouest je t’ai regardée tournoyer et j’ai reculé dans mon décor sans m’apercevoir que j’avais disparu.
***
Mis en image par Luc Lamy, ici.
Témoin
Elle a vu le trouble sur le jour elle a vu brûler le regain sous un ciel d’acier elle a marché longtemps dans une campagne désertée et au sommet de chaque dune de terre elle a senti un peu plus à chaque fois le monde se refermer en elle et s’endormir comme un fœtus dans sa mer close elle a senti sa caresse dans les contours flous de son intérieur elle a marché encore dans les sentiers effacés dans les traces éphémères d’une humanité disparue elle s’est sentie guidée par le vent et accompagnée par les herbes folles elle a couru dans la légèreté de l’instant elle a senti la lumière la traverser et son ombre frémir et s’allonger sous un arbre elle s’est assise enfin dans l’annonce d’un couchant faite à la terre et l’attente a déployé un dais de songe au-dessus d’elle et un voile noir devant ses yeux ouverts elle a vu le trouble sur le jour elle a vu brûler le regain
Un adieu
C’est aujourd’hui le givre
Aujourd’hui à l’agnus dei
Je servirai l’eau d’aliseQue naisse un feu humain
Esprit dans la chaleur
D’un corps suppliciéDans une lande essartée
Où le vent erre solitaire
Sans plus aucune herbe à caresserTes racines dressées vers le ciel
Tu as pris ma main
Et tu l’as posée sur ton flanc couchéTa chaleur a remonté le cours
De mes veines et tu m’as offert
Ce songe de givre et de lumièrePuis doucement tu as laissé glisser
Ma main sur ton aubier blanc et nu
Et tu t’es offert au vent ardentD’un hiver sans visage
Dans le silence du matin
Assise sur une vague d’ivoire
J’ai oublié la contemplation
Des décombres de cette ville
Où plus personne n’est là
Pour entendre le silence
Enfin revenuUne étoile scintille quelque part
Dans l’immensité du jour
Un phare en forme
De coquillage accueille
Un rayon de soleil
Dans sa volute nacréeUn jour ces ruines
Usées par le ressac
Ne seront plus que courbes
S’éloignant imperceptibles
Hélices autour de ce point
Amarré aux grains de sableJ’ai pensé soudain
À ces divagations
Portées par le vent
Samares par milliers
Ces grains de lumière
Dans les arabesques du temps
Dans les vagues incomprises
Comme un départ
Qui ferait naître
La mer sous les pas la source
Au creux de l’oreille
Ce chant délicat de l’eau
Qui forme une spirale
Le long du bras
Ou la lame de fond
Dans la terreur d’un matin blanc
Avec pour seul son
Le grincement de l’if
Sous le vent dans le cimetière
Marin
Où les épaves reposent
Sur le flanc sur
Le sable blanc
Sur l’air tranchant
En spirale colonne de marbre torsadée
Elles finissent en vacillant
Comme au travers d’une flamme
Le feu blanc a traversé l’océan
Porté par une houle aveugle
Un bras armé brandissant une épée
Lame spiralée dent de narval
Sang blanc versé en pure perte
Comme un départ en mer
Dans les vagues incomprises
Veille
Je me balance doucement d’avant en arrière
En regardant mes pieds enracinés
Tremblante au son serpentin d’un matin
Pris dans la lueur des glaces
*
Le veilleur est apparu en se frayant un chemin
Dans les nuages avec sa lame croissante
*
J’entends sa voix sourde qui m’appelle
En me traversant en vagues lentes
Entaille profonde qui fera naître dans mon balancement
La pulsation d’une vigie dans sa tour de guet
Effraction lente
L’encre venin
A crocheté la serrure
Et tu dis
Le fil ne se dénouera pas
Dans ce souvenir cousu dans la poche intérieure de ma mémoire
Il ne mourra pas
Tant que j’appuierai mon dos contre le mur
Avec la solitude pour seule couverture
Et tu dis encore
J’ai cueilli cette pomme que tu tiens dans ta main
Comme une pierre
Mais le carreau est déjà brisé dans la fenêtre de ma mémoire
Et tes mots écrits ont pris cette couleur brune
Des feuilles mortes qui flottent à la surface des choses
Et tu restes là comme si tu avais claqué la porte
À jamais branlante de tes souvenirs
Effacés
Ailleurs
Je vous écoute sans savoir comment vous entendre. Je suis déjà partie, et vous le savez, sur ce chemin qui commence ici. Mon regard tombe de l’horizon à mes pieds, sans que je puisse le redresser. C’est le chemin qui l’avale, longue langue au goût de terre. J’hésite à marcher dans les herbes du milieu. Ou dans les ornières. Si je sortais mes mains de mes poches je sentirais les piqûres du froid dans l’air creux. Ou, les paumes vers la terre caillouteuse du chemin, c’est l’énergie du monde qui les traverserait. Mais je garde mes mains dans mes poches et j’agrandis le trou dans la couture. Du sable s’en écoule et file entre mes doigts, que je ne me souviens pas avoir ramassé. Je trace ainsi une ligne involontaire, perpendiculaire à la ligne imaginaire que mes yeux refusent de regarder. Je ne sais pas comment vous entendre et vous le savez. Vos lèvres remuent, mais c’est un air de piano qui a capturé mon âme au bord du chemin. Celui qui commence ici. Je suis déjà partie. Vos lèvres remuent encore. J’ai choisi de marcher dans les herbes, au milieu. Les mains dans le vent, j’embrasse l’énergie du monde qui s’écoule de mes doigts. Mes yeux avides percent l’horizon qui s’enroule autour de moi. C’est avec ce fil bleuté que je raccommoderai mes poches. Et vous n’êtes plus qu’un point. Un point qui aurait des lèvres. Des lèvres qui remueraient. Mais c’est un air de piano que je poursuis jusqu’au soleil couchant. En dansant comme un coquelicot dans le vent. Sur ce chemin qui m’aspire et où je disparaîtrai. Dans la ligne imaginaire de mes pensées.