Baigneuse

La nuit s’enroule
dans le jour
encore

volutes
d’encre noire

encore

baigneuse
sur le pas de ma porte
emportée

que l’air cesse

de vibrer

que l’air cesse

de déposer
à la surface

que l’air cesse

des choses
l’empreinte

la caresse

des choses
de ta main

une caresse

sur la joue
d’une baigneuse

Rosée

Les âmes
s’évaporent
dans le levant

rosée

s’insinuent
caressantes
sous ma chemise

souffle

et laissent
sur ma peau
transie
cette eau

murmure

qui s’écoule
muette

entre mes seins

Circulation du vent (fatras)

Répondre
dans la vague
en rythme
chronophage

dans l’apathie générale

instant fini
dans la glose
des envergures

les vibrations de ta peau
que la pulpe du doigt
caresse

dans la boucle du temps
aboli
sans les percussions
sans les persécutions

à l’âme des instruments
à l’abri des tourmentes
je m’apaise

je jouis
dans le vent en robe
dégoulinante

on pourrait
passer le monstre
s’est endormi
Cerbère des champs
de colza

Sur le fil

En fermant les yeux
j’entre dans la flamme

en dissolution
espérée

en fin de limites
en fin de peau

qui vacille
sous les cils

enceinte au front
des arcanes

*

que je glisse
au fond de l’eau épaisse

du monde dans l’étreinte
impossible

des lueurs
empêchées de vivre

que je sonne
que je vibre

dans la lenteur
espérée

dans la fronde
dans le cercle

dans le noir
dans ma nuit

sur le fil

Sève

Sève s’écoule comme lave
dans la lenteur profonde
d’une danse dans le vent

les mots s’échappent
de la paume de ma main
poussières ou cendres

tu peux me parler
d’une voix des profondeurs
qui appelle
d’un grain de blé
qui demeure seul
d’un berger qui m’attend

dans la nuit

j’ai plongé mes doigts
mouillés
dans la terre

je germerai en toi
que tu ne disparaisses

pas

À toi partie

C’est le silence
qui me dégouline
de la bouche

rivière muette
muette

muette

pas dire

des mots en forme d’

arêtes

arrête

c’est le silence
qui fuit
de la bouche

chant de la terre éteint
ne sera plus que trou

et toi dedans

(Brève rencontre)

Il a la densité
visqueuse
d’un manteau d’étoiles
fondues

au cliquetis des lucioles
il s’avance

tout recourbé
autour du soleil froid
qui l’hypnotise

tout meurt
et tout naît
sous ses pas

et si les sylvains
disparaissent
de l’autre côté

moi j’attends là
qu’il me prenne
qu’il me boive
qu’il m’absorbe

au cliquetis des lucioles
sans lendemain

Vivant visage

Vivant visage
corps recyclé
vivant corps
visage veine
pulsatile
au réverbère
lumière temporaire
au store lumière zébrée
au matin être une autre
vivant visage
corps recyclé
cœur rétractile
au réveil à la nuit
entrecoupée
d’ombres de loups
de processions
phares
en rectangles mous
sur les murs
vivant visage
corps énigme
au matin
être encore
être une autre

Tu es ce pont entre deux dérives

Tu es ce pont entre deux dérives
une ancre
une hirondelle
une aube errante qui perce mes os

Ploie l’extase
au chant de trois gouttes de sang sur la neige
vibrent tes doigts le long de mon dos
à peine une caresse

Tu es ce pont
et je ploie

Tu es l’ombre et chaque brin d’herbe goutte de rosée je te bois

Tu es ce pont entre deux dérives
le tourbillon est toujours lent souffle sur ma peau

échappée dans tes gestes spiralés
et je ploie

j’ai froid tout à coup
une ancre
une hirondelle
une aube errante qui perce mes os

Dans la marge repliée du ciel

Dans la marge repliée du ciel
on contemple les océans défaits
et les arbres arrachés

on compte

las

la fixité des secondes et le silence des corneilles dans les champs
qui miroitent leur pluie contenue et leurs braises éteintes

on brume
on brumine
on assassine

on arrache son propre cœur pour le jeter aux ordures

a-t-on déjà vu ça
une décharge de cœurs à ciel ouvert ?

dans la marge repliée du ciel
on se retourne pour ne plus voir
on montre au monde
son dos zébré

on laisse échapper quelques gouttes de son sang
qui précipitent dans la mer pourpre
on poursuit la danse d’un sac en plastique en déréliction dans les rues
qui imite l’abandon de la feuille du platane aux rafales urbaines

dans la marge repliée du ciel
on dort d’un sommeil de houle glacée

on voudrait fermer les yeux
mais un grain de sable s’est insidieusement glissé
dans les rouages rouillés
de nos esprits
décorcelés

Que tu disparaisses

Ce sont mes horizons
que tu sondes
mes plissements et mes glissements

Ce sont mes failles
mes argiles et mes limons
que tu griffes

Dans le mouvement
lent de mes plaques
traces assises
mes affleurements
et mes lignes érodées

Je suis lourde et pleine
écorce qui déferle immobile
dans l’effort
dans la poussée
dans l’enfantement

Roche mère usée
sous son drap noir
d’humus
ou de bitume

Je me couche
et tu me broies
mes fissures craquent
et vomissent leurs boues
et leurs eaux

Je vois bien que ta rage
n’aura de cesse
que tu te couches à ton tour
que je t’ensevelisse

Et qu’enfin tu me sois rendu
dans la décomposition
de tes influx fuyants
et corpusculaires

Trace

jardinière
tu m’as séparé
en deux
comme un cœur

je ne suis
soudain

jardinière

plus en toi
en moi tu n’es plus

séparés
par la ligne de désir

que tes pas
ont tracée
au fil des jours

tes grandes foulées
dans les herbes folles
de mes recoins
d’ombre

ton dos courbé
pour embrasser
les rêves
que tu as semés

je t’ai offert

jardinière

ce chemin
et tes pieds
l’ont chéri

c’est la trace
de toi
qui demeure
une brise légère
hors du chemin

en moi
séparé
en moi
imprimée

dans la mémoire
humaine

Ogresse

aussi dépouillée
que la terre nue
tu sèmes tes membres
aux quatre vents
de l’hiver

quel monstre d’enfant naîtra
de ton pied profané
de ta main raturée ?

aussi défaite
qu’une mer
aux genoux écorchés
tu gifles la rage
qui s’échappe de toi
en paquets hoquetants

Il ne restera de toi

Il ne restera de toi
que la mer à ton plafond
et un rêve de ruines
où tracer ta route

Tu laboures comme tu navigues
dans les nervures des voûtes
terrestres

Te laissant aspirer
dans le délitement volontaire
de tes pierres au corps

T’abandonnant au mouvement
irrésistible de ta disparition
tu t’amenuises tu te dépeuples

Je voudrais plonger dans ta faille
me promener dans ton éclipse
accueillir ta perte

Tu prendrais ma main légère
tu t’étendrais sur la peau de la mer
abolie dans la multiplicité de ses plis

Quoi que je fasse quoi que je tente
tu t’évaderas pierre après pierre
dans la beauté insupportable de tes ruines

Désormais indifférent à ma défaite