Dans le souvenir d’elles

vide au front sans vertige
ou si peut-être

le vertige d’être

posée

vacante

dans le souvenir d’elle
pointe d’amertume fichée dans la poitrine
vivante
absente

je fais le tour comme l’aiguille du cadran
et je pourrais bien faire tic tac tic tac tic

alors
j’ai photographié les entailles faites à ma terre
et la boue et l’eau prisonnière

et des piliers de béton
mascarade forestière
ne laisseront pas entendre de confuses paroles

vide à ras bord
et pleine de cette autre
qui frissonne sur la rive

les pieds dans la boue
l’âme dans les sifflements du vent
courbée dans tes empreintes

chacune à l’une des terminaisons de ma pensée
reliées par un drap blanc

Flamme

c’est la flamme qui prend l’intérieur du corps
chaleur juste

saisie au poignet remonte depuis la plante du pied caresse la nuque
un brasier dans la poitrine

la voix de la mère vibre
dans le pleur
à genoux

les cris s’écrivent muets dans les décombres du monde
se conjuguent à tous les temps
imparfaits

l’imperfection de vivre
avec cette brûlure au dedans
se transmet de corps à corps

et nous pourrions crier
véhéments
dans la démence de l’instant qui tressaille

consumés
dans le feu de sa voix
qui appelle

tournant autour d’elle
comme des chiens comme des loups
affamés

et nous pourrions trembler
la flamme s’éloigne
la flamme rejoint le brasier

au hurlement des chiens et des loups
nous joindre

toute humanité
bue

Une parole

tu chantes dans la rue étroite
porteuse des éclats d’une pierre taillée

toute une vie dans une pensée
tu frappes aux portes
message délivrante
méditative chantante

de tes doigts tendus et froids
la peur s’est écoulée
comme fluide se répand
fleuve alangui en crue

tu voles de porte en porte
portée par le flot lent du givre
temps coagulé en son visage

ton message c’est elle et tu dis
« Elle ouvrait les yeux du silence »

et tu chantes encore et tu danses
dans la flamme alentie d’un soleil fuyant
dans le temps fixé aux échardes

« Elle ouvrait les yeux du silence »
et plus rien ne t’emporterait

Torche vive suis

torche vive suis
seule la nuit vient

voix qui tremble
entrelacée lierre embrasse

réceptacle de tes larmes
sur le chemin du puits

sandale au sable
poussière des mers éteintes

tu souffles verre s’écoule le long
de l’éternité

torche vive aveugle
enfante le jour présent

voix palpite
comme bête blessée

recueille en coupe
eau salée d’icelle

qui puise d’un pas ample
au désert

seule fut la nuit
glissée dans la fissure

glissée l’éternité
dans la brèche refermée

Assise

échappée dans l’or riant des enfances amoncelées
tas de linge qui attend sa lessive
tu tournes en rond dans ma cage de douleur

j’ai laissé quelque chose sur la route
mais quoi ?
les mots se dissolvent comme le sucre dans une tasse de thé

que feras-tu au tournant des jours ?
émincer des oignons et pleurer
faire revenir les faits et gestes

sur le front ou dessous ?
dans le magma du crâne à présent
mais ailleurs sans moi

étendre ce linge mouillé
au battement méditatif
du geste du toucher de la tâche

faire le tour et dormir
corps dans l’échappée du chemin
ou esprit ?

j’ai laissé
assise
la lassitude m’étreindre

Pythie

on me porte nue
dans les ombres de ta voix
elle crépite feu dévorateur d’idoles
pierre qui glisse n’amasse pas or quand je m’éteins dans les flammèches dansantes de tes cheveux

car je suis philistine
aux nues pythie gueulante
cassandre qui couve ses songes envahis de racines tortes et puissantes
perdu enfoui le sens reste folie
aux cheveux nattés en torsade nuque ployée sous le joug des déments

car murée dans cette cave hermétique
où salpêtre m’échoit
je trace avec mes ongles les hiéroglyphes d’une langue coupée
aux cendres cheveux je découpe et je fends

ton palais pourrait bien s’écrouler sur mes os de jonc
et ma main tremble et mes mots tremblent devant la terre qui s’ouvre à mes pieds précipités
et la débâcle oraculaire m’ouvre enfin la porte des grincements illisibles
qui débordent de mes flancs
percés

tu as posé la monnaie du changeur d’âme sur chacune de mes plaies et le fer de ta lance sur mon côté
mes rêves palpitants de désastre se sont taris avec mon souffle brûlant
corps revêtu de ses signes et chaussé de présages
dans son linceul tissé de cheveux de chaux éteinte

je me dissous dans cette terre effondrée
de ma bouche cousue soudain déhiscente
germeront les glyphes chiffrés

une voix
dans le désert

Trêve

Il y avait le long du chemin
fossé rigole
au moins trois fois
sans moi
cours encore

tu étais là
dos
au tronc de l’arbre sans nom
sans que je te connaisse
bois homme vue sur
le fossé serpente
halète

et je ploie
irrégulière
dans ma honte bue
sans savoir toi
si

si toi
je ne sais

j’ai pris cette route
indicible dans le bois
qui m’a prise
et j’ai cru

tu es là
dos au tronc de l’arbre
assis au pied de l’arbre
dans la paix de l’ombre
arrosoir
de paix
au chant
sans violon ni piano

je ne sais qui tu es
mais je m’assoie
tu es là
sans parole
le front caressé par la brise
et je regarde aussi
par là
comme toi
que je ne connais pas

et j’ai vu ma silhouette
sur le chemin
s’effaçant dans la poussière
que j’ai imaginée

le bruit du ruisseau
dans le fossé

et le frisson de la mère nuit
a ruisselé dans mon dos

tu m’a regardée

tu as souri

disparition de la mer

(à Christine Jeanney)

je m’étendrai à même la grève
la nuit bordera ma couverture de sable
et la mer chantera sa berceuse
à mes oreilles en forme de coquillage

quand la tempête aura glissé jusqu’à moi
je serai prête

je ramasserai la nacre du ciel
et je lui offrirai à genoux

dans le tohu bohu d’avant la création
j’ai entendu battre les pulsars

c’était l’impulsion

qui

manquait au mouvement des corps
marchant sur la grève

au rythme

exaspérant

d’un pas en arrière

d’un pas en avant

vagues vagues

et quand je me suis retournée
la mer avait disparu

dans la remontée du temps
chantant sa litanie d’étoile en étoile

langue brillante de sel
la trace du dernier coquillage

dans le sable veuf
qui m’avait enveloppée
dans son secret

Eau le corps

les zébrures du temps
sur sa nuque renversée
ont

jambes de mer
dans le ressassement des galets roulés par les vagues

elle dit
je suis ce carreau descellé
dans la pièce de ta vie
qui oscille et bruit
quand ton pied l’effleure

il dit
je suis la main de la pluie
qui trace un chemin sur ta peau
toujours le même toujours
un autre mon labyrinthe

ils sombrent dans le frémissement de la houle
en désordre
empreinte

dissimulée en cercles concentriques
tangue l’onde de choc

aux corps d’eau
vont

dans l’agitation de leurs pensées

Parfois le monde

parfois le monde
cesse parfois le monde
se replie
suivant les pointillés
de l’existence

parfois je reste aussi immobile
qu’absente aussi absente
qu’étrangère aussi étrangère
que transparente

posée dans le monde
qui ne m’a pas créée
posée dans la fiction
qui ne m’a pas écrite

parfois le monde
vibre parfois le monde
me frôle sans trace
dans le bruissement
des ombres en faction
qui défilent

parfois le monde
me broie et m’étreint
et dans la douleur
je connais soudain l’opacité
de ses fantômes
qui violent les âmes

à coups d’aiguille
à coups de lame
parfois le monde
me fauche
herbe séchée par l’été
dans son regain
rouge innocent

parfois le monde
s’aveugle et se tait
pour accueillir
les songes embusqués
qui le frapperont
dans le dos

parfois je préfère
me retirer dans le tintement
d’une source dame d’un lac
sans épée
guetteur aux yeux fermés
dans le trouble du soir

Il dira mon nom

je me ferai point minuscule
et incandescence fragile

je me laisserai consumer
par ce feu blanc qui me broie

cette attente indicible
en stigmates sur la croix

je me ferai expansion
silencieuse dans le dehors vacant

mon cri muet
déchirera le voile

ce point dans le saint des saints
invisible dans l’arche vide

je m’écorcherai l’âme
contre le mur d’un corps en ruine

je me laisserai envelopper
par les flammes de sa parole

je me ferai lune en révolution
pour éclairer ma nuit folle

enchaînée par l’attente
qui me brûle dans le dedans de lui

je me ferai langue et lame
pour qu’il me brandisse

je m’écrirai révélation
et je serai nue

quand le voile bleu
de la nuit

aura quitté mes épaules
et alors

il dira
mon nom

Il y a le dessin d’une fissure

sur ma poitrine
tu as délicatement inséré un coin
un marteau dans ta grande main
soulevé de profundis

la profondeur grave

s’est écoulée sous la glace
d’un lac délacé à coups de marteau

sur ma poitrine lasse

gît l’heure usée sertie de ciseaux
sombre avec la lenteur
fluide des marées

à moins que suinte la fissure
une eau sise dans la coupe
que tu me tends
au burin

tes grands doigts m’ont caressée
aussi lisse que glace
et tu as versé

sur ton œuvre une lave
d’écume
tu m’as donné à boire

les scories

de la fusion
de nous
emportés dans la chute de l’univers

à jamais bronze
sous la trace de tes doigts

il reste la fissure

La ligne de crête

Je retiens mes gestes
sur la sur la ligne de crête

Tu es venu battre à mon cœur
comme un volet décroché

Tu as poignardé le centre
de ma gravité nue

Là dans les limbes
d’un rêve interdit d’un rêve

Sur la ligne de crête
tu répètes cette litanie

Devant mes yeux fermés devant
je retiens mes gestes

Interdits là dans
dans les limbes d’un rêve

Dans le retentissement soudain
de l’aimant que je t’ai arraché

C’étaient les ramifications
de mon corps en brèche

Battu comme un volet
qui claque au vent qui claque

Les yeux fermés fermés
de ma fenêtre verte

Là au centre des limbes
dans le rêve verrouillé

Tu as poignardé mes gestes
retenus mes gestes nus

Sur la ligne de crête
de mon cœur fendu

Le lieu de la transformation

Je t’ai trouvée dans la rue
toute recroquevillée sur le trottoir

chantournée dans tes attentes
irrésolues

nul son ne filtrait plus de toi
même pas le tintement d’une larme

tu avais enfermé ta lumière
au dedans de toi
et tu t’étais revêtue à la va-vite
de vêtements trop grands

par dessus ton corps recouvert de cailloux
pour sentir
de ton retrait peser tout le poids

c’était peut-être tes espoirs que tu avais lapidés

devant des passants
mécaniquement indifférents

tu les avais déchirés
et jetés aux quatre vents
comme autant de missives aveugles

lettres miettes d’os blanchis

j’ai compris que tu t’étais voulue gangue
pour mieux consumer au dedans
de toi ton âme fissile

et je t’ai laissée
à ton invisible alchimie
sans savoir
sans pouvoir
lire
dans ton infime tressaillement

lequel des quatre éléments
allait l’emporter
dans ta lente métamorphose

furtif, mouvement, encore

Des mots semés en rêve
échappés
répétés encore encore les graver dans la mémoire
du rêve
les tisser dans

dans la trame du rêve

s’endormir enfin dedans dans le rêve
apaisée

au réveil
rêve nuage effiloché
mémoire
dissoute

Je reprends le chemin
pas nouveaux dans pas anciens

c’est le somment de la Tour Montparnasse
dissimulé par la brume
étrange voile
fumée blanche
champ après
après la bataille
dans un ciel

où tout nous échappe

nous fourmis
en convoi sur les trottoirs
en convoi dans la gare
dans les trains
j’agite la main

ce n’est pas mon départ

Je rassemble des mots

furtif
mouvement
encore

sans savoir
sans le rêve
sans la couleur de la fleur
semée sans le parfum

surprise de la traversée