toi

j’ai voulu faire sens de toi
être ta voix
haute

j’ai jeté une poignée de gros sel
dans la neige de mon départ
enfin

et j’ai vu par tes yeux
la litanie des couchants

j’ai voulu faire sens de toi
dans le silence de ta voix

écoutée
traversée en dedans de moi

mystère au son du salve

au bonsoir échangé
j’ai compris
enfin

ces voix entremêlées
que tu regardais disparaître

dans cette torsion du vent
autour de toi

fraîche

pas loin de l’ivresse
cette goutte de lait
qui s’est écoulée de ton sein

bleutée comme un lointain

que j’ai bue

enfant redevenue
danse sur la pointe du temps
aiguë

je ferai sens de toi
dans l’ombre douce de toi
la litanie des couchants

histoire d’un soir
lue

par ta voix
timbre du salve

le bonsoir
tu

Mon royaume

Partie tu es
partie en moi figée par la peur fétu dans le vent froid seule cette image cette sensation de froid glissant caressant je chante un miserere

Une poupée a perdu un bras figée par la peur face au mur sur la passerelle du temps ne regarde pas en bas au royaume des victoires tu es reine ne te manque plus que les ailes

cette peur au plexus m’empêchera de crier
tête coupée

méduse

cette peur au plexus me tiendra chaud quand je serai pétrifiée

je ne saurai plus qui vous êtes
et vous croirez que la mort a gagné

personne je serai
au centre d’une île

exacte au rendez-vous
je déposerai les armes

au royaume des victoires tu es reine ne te manque plus que les ailes

Vision clandestine

j’ai vu soudain et revu encore cette image un être humain mettre sa tête dans un sac en plastique sur la route qui avalait des cumulo-nimbus
sur la ligne de crête
nous avons mesuré son empreinte carbone et l’empreinte de son pas disparaît de la terre
alors ma plume cesse son crissement sur le papier et se soulève
et je crierai leurs noms raturés
et je crierai

j’ai vu soudain et revu encore cette image
alors j’effacerai les frontières

je vous le dit

j’ai fait vœu de brèche

vœu de brèche

Oui, quelque chose est en train de craquer dans la toile du monde

Oui, quelque chose est en train de craquer dans la toile du monde

les bulldozers ont dérangé le sage ordonnancement des sillons la terre semble vomir son humus balayé par les pluies dans ces ornières profondes ma terre balafrée

je suis là dans la rumeur trop proche de vos petits et de vos grands véhicules où le temps se fissure dans l’asphalte
je suis là chaos debout et il y a ici ce mouroir en forme d’usine de building c’est au milieu d’un parking géant entouré de lacets et de bretelles nos rubans de bitume de béton que j’ai fait vœu de brèche

mes mots crient vous entendez moqueries peut-être mots tordus phrases hachées tachycardie
un monde s’effondre j’ai glissé ma main dans une lézarde j’ai caressé ses bords du bout de mes doigts engourdis

j’y ai glissé mon corps tout entier ouvert dans cet interstice fêlure craquelée toile déchirée pores évents recouvrés d’une terre dans sa gangue

manufacturée

Et le ciel dans ses jours m’a bercée
j’ai compté ses lacunes dans le froid

au son des bulldozers
terrassant
la terre
gelée

« Écris donc ce que tu as vu, ce qui est, et ce qui doit arriver ensuite »

Et un éclat de ferraille fiché dans le sable
Une lame émoussée rongée par le sel dressée

Dans le ciel les coutures craquent
On aperçoit des points de lumière qui filtre par les trous de l’aiguille
Dans le ciel décousu
On aperçoit l’univers qui s’infiltre goutte après goutte
Dans le ciel les coutures craquent
L’univers s’effondre sur nos têtes

Il pleut des supernovae et des naines blanches, des galaxies et des trous noirs
Qui saisissent dans leurs poings serrés le tronc des arbres creux

Un jour j’irai passer la pelle et la balayette sur le sommet d’un gratte-ciel
Et je sèmerai la poussière d’étoile devant vos visages masqués et vos bouteilles d’oxygène

Un jour

J’irai dans le désert déterrer un éclat de ferraille
Je ferai de cette lame rouillée mon épée et une langue à double tranchant à secouer devant votre nez

L’univers s’effondre sur nos têtes brûlées par la nuit
Plus un cheveu sur nos cailloux plus un ongle au bout de nos doigts
Tout juste deux éclats de météorites

à la place des yeux
et nos lèvres scellées

Le tissu des choses

Le tissu des choses
alourdi déformé
Je te tends mon mouchoir
Un carré blanc
Brodé dans un coin
Le tissu des choses
étiré soupesé
Tu essuieras tes larmes
Tu moucheras ton nez
Le tissu des choses
a recouvert
un monde fendu en deux
Ce n’est pourtant pas assez
tu verras
Même si tu chantes
en accélérant le pas
tu verras
le tissu des choses
aura raison
de toi
sur cette note aiguë
et maintenant
cette voix grave
qui te souhaite la bienvenue
et t’invite à sa table
et te bénis
le tissu des choses
s’immisce entre toi et moi
et j’oublierai qui tu es
dans le silence
entrecoupé
et le tissu des choses
déchiré
c’est le voile du temple
et j’ai tourné le dos
Prends mon mouchoir
essuie ton front
et panse ta plaie
et panse ta plaie

Au bord

Accoudée au bastingage
Que me garde corps
Que me garde
Fou
Glisser ma main lisse
Ou fil tissé
Dans les rêves
Ce rideau
Ce pont
Perdu
Dans les nuages
Qui filent
Sous mes yeux plissés
Garde-corps
Garde-fou
Je rêve
Seul point fixe
Dans ce paysage

Sillage

sillage
dans l’évocation d’un fleuve
et seule
désœuvrée vide corps lourd
empli d’un néant
coulant comme un nœud
comme un fleuve
encerclée par mes ombres
Sous le poids d’une pensée
Juste une pensée
Cette distance qui me sépare
qui me sépare encore
d’un corps
vivant
chaud
pulsatile
ce corps battant
en pensée
dans le sillage qui s’efface

Présents

Personne pour nous le dire
Cette prolifération soudaine
De pas anonymes surmontés
Des corps entre lesquels
Se faufiler jeu de quilles
Grandeur nature
Dans le labyrinthe
Mille fois arpentés
D’une ville lâchement
Déliée de nous
Désormais étrangers
Dans une ville
Familière

Étrangère

Désormais

Le jour le plus court

Dans ce monde
Soudain figé
On pourrait
Esquisser le trait
Fuyant d’un sourire
Ou d’un fil téléphonique
Ou d’une pointe de légèreté

J’ai cru soudain
Que la Seine
Pourrait déborder
Et je me suis vue
En train d’étendre
Mes rêves trempés
Et dégoulinants
Sur la corde esquissée

Et puis on m’a raconté
L’histoire d’un bus
Incapable de remonter
La pente d’une rue
transformée
En piste de ski
Et j’ai imaginé
Ce troupeau de citadins
Obligés de marcher

Je préfère
Dans ce monde
Plongé dans la nuit
La plus longue
Faire sécher mes rêves
Au feu de mes questions
Ou de mon chagrin
Ou de ma colère

Et boire une tasse
De sommeil
En guise de thé
Fondre et se liquéfier
Au fond des draps
Brûlants et gelés
J’ai sagement posé
Sur la table de nuit
Mes lunettes embuées

Le chant des derniers pas, 2

Chant II

Tu t’es approchée de la rive
Mais tu ne tiens pas debout
Toujours ces picotements
Dans ta main enflée
Tu as peur et tes larmes
Voudraient creuser un sillon

Sur tes joues pâles
Tu as peur sans pouvoir le dire
Où va-t-on t’emmener ?
Toutes ces blouses blanches
Jamais les mêmes
Où va-t-on t’emmener ?

Je te tiens la main
Et tu la serres fort
Les bords du fleuve
Se reflètent dans tes yeux
Et la brume filante aussi
Dans tes yeux rougis

Le chant des derniers pas (ébauche)

Chant I

Tu as beau ne plus pouvoir mouvoir
Ni ton bras ni ta jambe
Tu avances malgré toi
Sur la route
Dont seule aujourd’hui
Tu vois la fin

Tu marches seule devant
Et personne ne peut te suivre
Jusqu’à cette berge
Que toi seule tu aperçois
Et cette barque amarrée
Qui t’attend

Je sais qu’un voile de terreur
S’est déposé sur tes traits
Tu as peur seule
Devant ce fleuve immobile
Et large et noir et froid
Qu’on ne traverse qu’une seule fois

Un adieu

C’est aujourd’hui le givre
Aujourd’hui à l’agnus dei
Je servirai l’eau d’alise

Que naisse un feu humain
Esprit dans la chaleur
D’un corps supplicié

Dans une lande essartée
Où le vent erre solitaire
Sans plus aucune herbe à caresser

Tes racines dressées vers le ciel
Tu as pris ma main
Et tu l’as posée sur ton flanc couché

Ta chaleur a remonté le cours
De mes veines et tu m’as offert
Ce songe de givre et de lumière

Puis doucement tu as laissé glisser
Ma main sur ton aubier blanc et nu
Et tu t’es offert au vent ardent

D’un hiver sans visage

Dans le silence du matin

Assise sur une vague d’ivoire
J’ai oublié la contemplation
Des décombres de cette ville
Où plus personne n’est là
Pour entendre le silence
Enfin revenu

Une étoile scintille quelque part
Dans l’immensité du jour
Un phare en forme
De coquillage accueille
Un rayon de soleil
Dans sa volute nacrée

Un jour ces ruines
Usées par le ressac
Ne seront plus que courbes
S’éloignant imperceptibles
Hélices autour de ce point
Amarré aux grains de sable

J’ai pensé soudain
À ces divagations
Portées par le vent
Samares par milliers
Ces grains de lumière
Dans les arabesques du temps