Midi c’est le fil invisible qui sépare un monde en deux. Midi c’est le pont changeur qui relie deux mondes. Midi c’est le profil du temps qu’on voudrait voir de face. Midi c’est autant la face du monde que Le Monde Vu de Dos. Midi est une ligne de front où combattent les heures perdues. Il est midi. Et le funambule vous remercie.
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La falaise blanche
Escalader la falaise. Au bord, je frémis. Paralysée sur une corniche, j’aperçois un oiseau bleu. Je lui envie ses ailes frêles. Plaquée à la muraille, mon corps meurtri n’aime pas cette étreinte griffue. Dans les hauteurs, un infini. Dans les profondeurs, un infini. L’univers se referme sur moi en une bulle de vide d’où je vais renaître. Aussi petite qu’un point sans substance, je cherche la droite qui passe par mon centre pour m’y fondre. J’oublierai tout, je fermerai les yeux et…
(Rendez-vous au sommet de la falaise)
Passagère

©Aurélie Zara
J’ignore sur quelle sorte de pont ou d’esquif je poursuis ma traversée, arche ou passerelle, bac ou caravelle. Quelle que soit ma route, elle n’a qu’un sens, comme celle des astres. Mais au milieu de ma révolution je peux aller à reculons et regarder en arrière, affrontée à un mur invisible qui me repousse vers mon couchant. Nulle halte n’est permise, l’océan n’est jamais étale, le vent jamais ne tombe. Mer belle ou démontée, ballottée ou arrimée à la barre, j’avance, la peur au ventre ou dans l’ivresse de l’instant.
Je cours après un rêve
Je cours après un rêve dans lequel je courais après des mots qui commençaient par : Déjà la brume s’est levée…
Au long souffle du soir
Au long souffle du soir, je tends la main vers toi. Tu ne m’as pas vue, tout entier ravi dans la contemplation d’une mésange qui s’accroche à ce mur de pierres, dans le jardin d’à côté, les ailes frémissantes dans l’air fraîchissant.
[Ici]
Morceaux du temps
J’ai réuni les fragments d’un vase morcelé. Chaque morceau placé l’un à côté de l’autre forme la mosaïque d’un temps que la mer a usé comme le sable. Les mains devant les yeux, je n’ose pas laisser s’imprimer en moi l’image ainsi formée.
En vidant la grande armoire, j’ai trouvé un petit miroir aux biseaux chantournés. Sa surface rayée appuie sur ma poitrine, m’imposant le reflet de la faille qui me traverse. De vieilles lettres ont refait surface, insensibles à la blessure ouverte, comme les eaux de la mer Morte.
Papillons de nuit reviennent me hanter, papillons blancs épinglés au mur de ma raison. Laissez-moi dormir et rêver d’une maison.
Quitter la ville
Le dos d’un enfant s’appuie au réverbère. Comme on entend le claquement des talons sur le bitume des trottoirs et je passe. La lune s’est accrochée aux frondaisons des platanes, têtes réduites. Filet lâche au matin bruissant. Bientôt, je m’échapperai de la ville, mais prisonnière je crains de rester, qui s’est insinuée dans mes veines. Adieu. Je respire.
La fenêtre haute vue sur étoiles rectangulaires aux crépuscules qui ne s’éteignent pas. Toutes lumières jaunes tournées vers le bas, factices enceintes sans portes. Tu ne t’échapperas pas. Seule la lune arrive à percer la muraille, un judas sur l’autre, intrus, étranger. Adieu. Je me dessille.
Une voix est couverte par les cris d’enfants. L’air tremble et vibre, le plomb se transforme parfois en or, le soir, dans le grondement d’une mer sans ressac. J’y lance des vœux, hameçons émoussés en forme de nuages, le regard posé devant moi, sur le mur. Un coin de l’affiche décollé comme invitation à tendre la main. Adieu. J’entends.
J’irai toucher le paysage des terres finies, sans cesse érodées. J’irai rendre l’humus à la terre. J’irai dormir en ce jardin ensauvagé piqueté d’étoiles.
Adieu.
Je quitte bientôt la ville qui m’a enfantée.
©Brigitte Célérier
[Voix]
Tu partiras et jamais Je te reverrai blond et prairie de délices écart je pars te rejoindre oubliant le plus et ce sera terminé car nous serons écrasés par l’éclatante noirceur Explosion dévoile l’existence de la ligne éparse égaillée éparpillée imaginaire du cœur car seul le cœur mutisme mosaïque du sanctuaire scintillement irréel de la fenêtre qui s’ouvre Il partira au fond du désespoir et mourra mourra seul devant les vagues lagunaires qui manquent à l’étrange présence Le crépuscule habite ces demeures ainsi que les roses sauvages et les lys rouges peuplent le jour lisse aux joues reluisantes et violentes tendresse écoute la mélodie le long du fil d’or dort le monstre le nénuphar du commencement.
T’ai-je déjà raconté
T’ai-je déjà raconté comment la lune est descendue nous sommes tous derrière toi effaçant la dernière ligne écartée. Le cercle recalé s’est penché et la balustrade a gémi au reflet d’un ange roué. Un aventurier a disparu dans la carte du ciel, évasée, chemin tube où ton oeil apparaît, il se ferme.
Enchantée, laissez-moi deviner. Je suis partie.
Soupirs. Feuille tremblante aux doigts tendus sans retour. Poésie sous le buffet. Poussière et obscurité pour visage dolent.
Laver l’aube et l’étendre.
La couleur du ciel
Je t’ai menti sur la couleur du ciel. Je t’ai menti sur l’existence des pierres. Mes blancs mensonges ont creusé la faille que je vois à mes pieds. Insondable crevasse où les mots s’éteignent, aveugles qui sombrent.
Artifice
La rose éclate et le pendule s’écrie. L’arbre sourit et la ruse s’émeut. Aujourd’hui comme hier étaient alignés comme une ficelle pour étendre le linge. Immense erreur et éternel oubli. C’est cette liturgie qui exaspère la tête et le bec et étouffe la balancelle. Écoute-moi, tu peux conduire cette avancée d’héliotropes vers un verre bleui plus large et grandi comme ce vitrail à travers lequel rien n’est possible et rien n’est impossible. Et toi, tu m’écoutes. Tu écartes le voile qui cèle l’oubli. L’oubli est souvent préférable à l’orme et à l’érable vermeil. Écoute-moi, il faut encourir la verticalité étouffante et assouvie. Écoute, toi, je t’aime comme est bleue l’arche qui joint le possible et l’impossible. Et les coups si mélangés si pointus qui soulèvent un cœur enfermé. Tu es là, amertume glacée et l’acerbe brûlure. J’embrasse l’irrémédiable élément. Et tout de suite, la liqueur s’écoule comme une goutte de pluie sur la vitre de la croisée aux lambeaux dorés. Sage dissolution, lente fusion, étrange évaporation d’où s’échappe la clameur des moindres parcelles de l’élément. La rose éclate et le pendule s’écrie. L’arbre sourit et la ruse s’émeut. Aujourd’hui comme demain s’éteindront et la poussière en halo s’éparpillera dans la plus profuse confusion de l’élément. L’artifice s’attarde en chemin quand s’abat le reflet de l’étang. Dans le trouble des couleurs élancées, tu te mêleras et la terre, pour qu’elle puisse se fendre, éclatante, s’épuisera. Adieu champ d’asphodèles sauvages et brume élaborée. Frappe du bec et tu apercevras dans le fond une forteresse en ruine envahie par le peuple de l’élément. Accuse le trait qui perfore la feuille d’acanthe modelée par un vent de vertige. Tu vois, je marche sur la carte, sur l’eau et sur le ciel à la lettre indélébile. La quille de la barque est prise de ce vertige et l’élément est menacé par l’engloutissement dans une plénitude angoissante et reçoit mille traits oranges et rouges dans les yeux. Écarte le voile et regarde. Les papillons et les scarabées, les lucioles, les libellules, le moustique et l’araignée s’éloignent et se rapprochent dans un tourbillon et tout se détache, comme les membres dans la nuit et la recherche est longue et le cœur palpite et les images se fondent dans le vide magnétique.
Mars, 12
Tu vois donc ce puits de l’imaginaire ressemblance adaptée, recordée, ébloui par l’étincelle d’un rêve sans portée : querelle, et suite époustouflante de délices écarlates, blanche comme la nuit éternelle du poisson qui ne respire pas et adjure le pêcheur à l’engloutissement, pour que ses membres, un à un, disparaissent à l’irrémédiable tempête ordinaire et sanglante.
Mars, 11
L’aube est la porte derrière laquelle se prolonge l’enfantement de l’orbe aveuglant et dense, et la terre, dentelée en ses hauteurs comme en ses abîmes, en attend l’infranchissable entrebâillement.
La passante
J’ai oublié d’ouvrir la porte, j’ai oublié l’odeur du café, j’ai oublié la couleur de tes yeux, j’ai oublié de partir, j’ai oublié la lettre de cachet, j’ai oublié que tu m’aimais, j’ai oublié le rebord plissé du ciel, j’ai oublié d’arroser le jardin, j’ai oublié ce qu’il y a derrière l’horizon, j’ai oublié d’avoir peur de l’orage, j’ai oublié l’ennui, j’ai oublié la page 42 et le chapitre 7, j’ai oublié de caresser le chat, j’ai oublié le bruissement du vent dans le feuillage, j’ai oublié de me taire, j’ai oublié la vérité, j’ai oublié le chemin, j’ai oublié la colère, j’ai oublié ton sourire, j’ai oublié les clés, j’ai oublié de fermer la fenêtre, j’ai oublié de mourir, j’ai oublié ce grain de beauté que tu as au coin de l’œil, j’ai oublié où je suis née, j’ai oublié ton nom, j’ai oublié le sommeil, j’ai oublié la chute.