Révélation

J’ai perdu la moitié d’un autre, dis-je à ma tête fendue. Prends le deuil ou la fuite, me hurla la Colère, tandis que la Paix soupira : Pars à sa reconquête.

Mais toi, Colère, tu me laisses, en partant, comme un linge essoré tombé de sa corde.
J’étais ce drap blanc gonflé comme une voile. Échafaudant les délices de la fuite, fol esquif sans étoiles ni boussole.

Et toi, Paix, me diras-tu donc les méandres de ton plan d’invasion ? Comment entends-tu t’infiltrer derrière ces créneaux aveugles ?

« Voici que je me tiens à la porte, et je frappe, répondit-elle. Si quelqu’un entends ma voix et ouvre la porte, j’entrerai chez lui ; je prendrai mon repas avec lui, et lui avec moi. »

Puisse ma tête fendue avoir gardé une oreille.

Page blanche

Voilà bien le sujet le plus éculé qui soit. Loin du clavier, les mots fusent, se cherchent, se trouvent, s’organisent, dessinent la silhouette d’un souvenir, le squelette d’une idée, le scénario d’une petite histoire. Ils tournoient, virevoltent, chavirent, virent de bord et disparaissent comme des étincelles dès que la page blanche apparaît.

Parfois, je les poursuis, je voudrais les dresser, les mettre au pas, les mener à la baguette. Et parfois… ça marche! Et les voilà bien alignés devant moi, noirs sur fond blanc, orthographiés, typographiés.

Mais, le plus souvent, ils m’échappent, ils se dissipent dans une brume de songe, comme s’ils n’avaient jamais existé. Et je me sens béante, riche d’un trésor que je ne peux toucher sans qu’il s’évapore.

Alors, comme aujourd’hui, je laisse mes mots s’épancher tout seuls, en les retenant à peine, en vidant presque mon esprit, avec la curiosité inquiète d’une mère poule qui laisse son enfant s’éloigner d’elle pour la première fois.

Nuit

Et tandis que les mondes s’entrechoquent sans bruit, je suis seule sur la ligne d’horizon. On dit que la nuit tombe et que le jour se lève. Mais une nuit de velours s’est levée en moi en déposant ses astres en chacun des points de mon corps.

Une valse… peut-être

La tête enfouie dans mon ombre, j’erre sans but dans les méandres obscurs de la nuit. En pointillés, comme autant de traits tirés sur l’envers d’une page noircie. Les mots ne se laissent plus décrypter. Je la regarde, cette page, à la lumière jaune d’un réverbère, mais elle a glissé dans l’opacité, en suivant le dessin d’une feuille morte. Un air de valse s’est enroulé autour de ma taille et a envoyé tous les vertiges au ciel ou peut-être au diable. De loin, je vois cette fillette qui saute dans les flaques d’eau, figée pour l’éternité. A moins que ce ne soit mon regard qui ait pris le temps en otage. La pluie s’est arrêtée de tomber mais pas son crépitement sur les toits qui résonne comme un disque vinyle sur un vieux phonographe. Joue cette valse, écoute cette pulsation et laisse-moi m’échapper. Laisse-moi boire cette nuit jusqu’à la lie. Et disparaître dans le rêve de ce temps adagio qui vient.

Ce paysage

J’écris tout ce que je vois. Comment le jour commence. Comment le jour finit.
J’ai entendu ces mots du coin de l’œil. Je ressens parfois cette lassitude de la quête qui jamais ne s’achève. Comme ce jour qui commence. Et comme ce jour qui jamais ne finit.
Dans les limbes de ma pensée, les paysages ont disparu. Et je reste là, immobile stylite recroquevillé dans mon ombre, cherchant dans l’ovale du miroir une courbe où m’assoupir, pour une éternité.
Mais la profondeur du temps s’est émoussée, embrassée dans une tourmente qui ne sait pas s’apaiser.
L’horizon piqueté par le sable semble gémir, ligne impossible qui m’enveloppe, chrysalide ou linceul, mais n’est-ce pas la même chose? Si le grain ne meurt, disait-il. Grain de sable rejeté par le ressac. Poli par les jours, poli par les nuits, par le vague soupir brisé de mes rêves.
S’il te plaît, ferme la porte, ferme la porte et laisse mes yeux sans larmes baisser la garde du soir, et guetter encore une fois, encore une fois, ce jour qui s’éteint.
Ce jour qui jamais ne finit.