La passante

J’ai oublié d’ouvrir la porte, j’ai oublié l’odeur du café, j’ai oublié la couleur de tes yeux, j’ai oublié de partir, j’ai oublié la lettre de cachet, j’ai oublié que tu m’aimais, j’ai oublié le rebord plissé du ciel, j’ai oublié d’arroser le jardin, j’ai oublié ce qu’il y a derrière l’horizon, j’ai oublié d’avoir peur de l’orage, j’ai oublié l’ennui, j’ai oublié la page 42 et le chapitre 7, j’ai oublié de caresser le chat, j’ai oublié le bruissement du vent dans le feuillage, j’ai oublié de me taire, j’ai oublié la vérité, j’ai oublié le chemin, j’ai oublié la colère, j’ai oublié ton sourire, j’ai oublié les clés, j’ai oublié de fermer la fenêtre, j’ai oublié de mourir, j’ai oublié ce grain de beauté que tu as au coin de l’œil, j’ai oublié où je suis née, j’ai oublié ton nom, j’ai oublié le sommeil, j’ai oublié la chute.

« Les objets contiennent l’infini »

C’était il y a longtemps, nous longions paisiblement la côte quand l’horizon devint dangereux. Fendant la terre. Trouant le réel. C’est dans une ligne que se résout cette énigme. C’est dans une ligne que tombe la mer et que disparaît le vertige. La perte de l’équilibre était dans l’horizon. C’était il y a longtemps. Ainsi devraient commencer tous les récits.

Claude Royet-Journoud, Les objets contiennent l’infini, Gallimard, 1984, p. 53.

(Poezibao)