Elisabeth Brami (texte)
George Lemoine (illustrations)
Seuil jeunesse
2004

Je pourrais vous dire que je n’ai pas le temps. Mais j’aurais l’impression de vous mentir. Vous penseriez que je suis très occupée. Que ma vie est remplie de toutes ces petites choses qui remplissent une vie. Or ce n’est pas ma vie, c’est ma tête qui est encombrée.
Je ne manque pas de temps. Je manque d’espace. Et le temps a besoin d’espace. Comme on a besoin d’air pour respirer. Il ne reste plus d’espace que pour un JE amputé qui cherche son reflet dans les morceaux d’un miroir brisé. Mille petits morceaux de moi. Un puzzle, un rébus, des lettres éparpillées qui cherchent leurs mots et des mots qui cherchent leur sens.
Un je mansardé qui envoie des signaux de fumée par la lucarne. Nuages de pensées fragmentées dans un ciel, rideau sans accroc par lequel s’échapper. Un je évasif, invasif, transparent et fragile comme le verre. Assoiffé, affamé, se nourrissant de lui-même jusqu’à disparaître.
Je pourrais vous dire que je n’ai pas le temps. J’ai trop à faire à repousser les murs de ma prison. A chacun ses loisirs du week end.
Ce matin, j’ai le droit d’exister pour moi tout seul. Je prends le droit d’exister (…) Ce n’est plus cette sensation de vide qu’il faut remplir d’actes, de mots, d’oeuvres. Je goûte d’être immobile. J’existe d’avantage de ne rien faire (…) Exister justifie d’exister. C’est bon d’exister. Ça ne doit servir à rien d’exister. On n’est pas obligé de servir à quelque chose. On n’est obligé de servir à rien. On a le droit d’exister d’abord. (…) Jusqu’ici, il m’était incroyable qu’on puisse passer du temps sans rien faire et ne pas le sentir perdu. Le temps n’est pas rempli de ce qu’on y met. Mon temps se remplit par l’attention que je lui porte, par le goût que j’en prends, parce que je le considère, parce que je me considère, parce que je me suis restitué le droit d’exister.
Louis Evely, prêtre. Cité par Lytta Basset dans Paroles matinales, Labor et fides, 2003.
La tête enfouie dans mon ombre, j’erre sans but dans les méandres obscurs de la nuit. En pointillés, comme autant de traits tirés sur l’envers d’une page noircie. Les mots ne se laissent plus décrypter. Je la regarde, cette page, à la lumière jaune d’un réverbère, mais elle a glissé dans l’opacité, en suivant le dessin d’une feuille morte. Un air de valse s’est enroulé autour de ma taille et a envoyé tous les vertiges au ciel ou peut-être au diable. De loin, je vois cette fillette qui saute dans les flaques d’eau, figée pour l’éternité. A moins que ce ne soit mon regard qui ait pris le temps en otage. La pluie s’est arrêtée de tomber mais pas son crépitement sur les toits qui résonne comme un disque vinyle sur un vieux phonographe. Joue cette valse, écoute cette pulsation et laisse-moi m’échapper. Laisse-moi boire cette nuit jusqu’à la lie. Et disparaître dans le rêve de ce temps adagio qui vient.
Vérité de parole au bout de la ligne de fuite. Silence sous la ligne de flottaison.
Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 17 mai 2007.
Mon cœur chavire et j’ai parfois la nausée. Je ne sais pas sur quel pied danser, funambule, un fil me traverse de part en part et je tournoie.
J’aime marcher. Sur les sentiers un peu escarpés, je sens mon corps en mouvement, mes muscles qui travaillent, je me sens exister. Libre. Seule. Une. Habitée.
Mais, sur les sentiers un peu escarpés, j’ai parfois peur de manquer d’équilibre et de sombrer. Mon cœur se soulève, car je me vois et je sens mon corps endolori par la marche, se disloquer dans la chute.
Ma capacité à faire confiance, à me faire confiance, à croire en les autres et en moi s’est abîmée. Ma foi a subi une érosion qui me laisse ce poids sur le cœur. Pourtant cet équilibre est en moi, là, ici. Je ne tombe pas. Mes pieds me guident, humbles, au contact du sol irrégulier.
Si seulement je me laissais aller, je pourrais sentir mes racines, celles qui m’ancrent en moi, sans me lier, sans me retenir, sans m’étouffer. Celles qui m’ancrent dans la vie, pleine, entière, profuse, complète.
Mon cœur pourrait chavirer sur un pas de danse, un tourbillon de rires, une ode à la terre vivante.
Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 16 mai 2007.
Avoir le droit d’avancer, avoir celui de reculer. Rebrousser chemin. Prendre un chemin de traverse. Un raccourci. Le chemin des écoliers. Un sentier. Une piste. Les impasses. Les passages. Arpenter. Bifurquer. Se fourvoyer. Faire un crochet. Venelle. Raidillon. Tourner en rond. Avoir le droit d’avancer, avoir celui de reculer.
Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 30 avril 2007.
En rechargeant la page, les photos changeront. « spell » vous conduit dans la grotte d’un sorcier alchimiste… ;)
Ce que je trouve difficile lorsqu’on chemine vers soi – mais cela vaut aussi pour beaucoup de chemins –, c’est que lorsqu’on a atteint un point culminant, ou qu’on a franchi un obstacle, alors on aperçoit la suite de la route, et elle est encore si longue, tellement longue… et si pleine d’embûches. Des zones de jungle inextricable où donner des coups de machette ça et là est la seule manière d’avancer ; des zones désertiques, où règne le silence, la solitude et la mort ; des parties de la route sont bloquées par des éboulis ou des arbres abattus par la tempête.
Je suis une bonne grimpeuse, car, dans certaines circonstances je suis très obstinée, mais je redoute les descentes. On utilise alors des muscles peu sollicités d’ordinaire, qui deviennent vite douloureux, on est entraîné dans la pente au risque de la dévaler brutalement.
Heureusement, parfois, on peut ralentir le pas, car on a toute la journée devant soi et le ciel est limpide. S’arrêter au bord d’un ruisseau et profiter de sa fraîcheur. Contempler le paysage.
Si tourmenté qu’il soit, on peut toujours y trouver de la beauté.
Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 17 avril 2007.
Ce joli dessin très stylisé de fleurs au bord d’un chemin est en réalité un graphique qui représente mon site, Enfantissages, à partir de son code html. J’ai fait cette découverte lors d’une balade sur l’intéressant blog de Jean-Marc Bellot. Cela vous tente de savoir à quoi ressemble votre propre blog transformé en capitule de pissenlit? C’est par ici.
Dans un élan de printemps, un instant revigorée, je savoure quelques petits pas. J’imagine la sensation de la mousse des bois sous mes pieds nus, puis celle de l’eau fraîche d’un ruisseau et son délicat clapotis. Le bruissement des branches au travers desquelles filtrent quelques rayons de soleil et le chant des oiseaux me ravissent.
J’essaie maladroitement d’inspirer du plus profond de mes poumons ces instants fugaces, sans les retenir, sans m’y accrocher, comme regarder tranquillement passer les nuages dans un ciel sans fond.
Ephémères, il n’en restera qu’une vapeur légère au parfum de rose.
Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 5 avril 2007.
J’ai du mal à parler de moi sans me plaindre. Enfin, c’est ce que je ressens dans le regard des autres. Je me sens souvent aussi, bizarre, dans le regard des autres. Alors je parle peu. C’est trop douloureux de se sentir à part, sans réellement comprendre pourquoi. Je ne sais pas comment changer. Devenir moins craintive. Cesser de laisser involontairement filtrer de moi mes blessures, ma peur et ma colère.
Je voudrais ne plus faire peur.
Je voudrais être sereine, enjouée, sociable, pleine d’aisance.
Je voudrais sortir de ma peau de petite fille écorchée vive, maigrichonne, incertaine.
Je voudrais cesser de penser que je n’ai pas de valeur, que ma voix n’a pas de poids, qu’il vaut mieux se taire.
Je voudrais quitter ma léthargie, mon inertie, mon incapacité à vivre pleinement.
C’est trop dur, cette vie amputée, incomplète, rabougrie. Cette pesanteur épuisante, cette tension permanente.Et voilà. Je me plains.
Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 29 mars 2007.
Pour cette nouvelle édition du concours de photos de Jathénaïs et Gilsoub, le thème est « insolite ». Pas facile. J’ai hésité entre ce cactus aux aguets et ce démon porteur de bénitier.
Dans ma lancée, j’ai aussi ajouté ma petite phrase à la blog-histoire commune de Saperli. Pourquoi pas vous aussi? ;)
J’écris tout ce que je vois. Comment le jour commence. Comment le jour finit.
J’ai entendu ces mots du coin de l’œil. Je ressens parfois cette lassitude de la quête qui jamais ne s’achève. Comme ce jour qui commence. Et comme ce jour qui jamais ne finit.
Dans les limbes de ma pensée, les paysages ont disparu. Et je reste là, immobile stylite recroquevillé dans mon ombre, cherchant dans l’ovale du miroir une courbe où m’assoupir, pour une éternité.
Mais la profondeur du temps s’est émoussée, embrassée dans une tourmente qui ne sait pas s’apaiser.
L’horizon piqueté par le sable semble gémir, ligne impossible qui m’enveloppe, chrysalide ou linceul, mais n’est-ce pas la même chose? Si le grain ne meurt, disait-il. Grain de sable rejeté par le ressac. Poli par les jours, poli par les nuits, par le vague soupir brisé de mes rêves.
S’il te plaît, ferme la porte, ferme la porte et laisse mes yeux sans larmes baisser la garde du soir, et guetter encore une fois, encore une fois, ce jour qui s’éteint.
Ce jour qui jamais ne finit.