Si j’écrivais

Si j’écrivais, ce serait sur ma paralysie. Mais ma paralysie m’empêche d’écrire. Je parle de cette carapace intérieure qui se pétrifie au fil du temps. Belle excuse en vérité que de pointer du doigt la statue qui n’est autre que moi. Elle pense alors que pour raconter une histoire elle pourrait bien utiliser la troisième personne. Tant qu’à se mettre à distance, ce sera elle. Elle décida aussi de parler au passé. C’était une histoire qui se raconterait à l’imparfait, à l’imperfection. Au passé simple, simplifié.

Elle ouvrit la porte. C’est comme ça qu’elle imaginait le début d’une histoire. Un geste presque fondateur. Se lever, se diriger vers la porte, saisir la poignée, hésiter un bref instant, le cœur battant, comme au seuil d’une transformation, attendue et crainte.

Elle ouvrit la porte. Descendit les marches, parcourant la spirale des étages, comme un fœtus, tournant sur lui-même en sa mère pour naître à ce monde. Bien sûr, la lumière du soleil l’aveugla. Elle frissonna dans la fraîcheur du petit matin. Quoi de mieux que de sentir sa peau picotée par le froid pour se rappeler les frontières de son propre corps et sa propre présence charnelle, en dépit de tout, sa présence ici-bas. Au temps présent.

Elle fait un premier pas. Puis un autre. Avec la solennité authentique d’un rituel de purification. Elle voudrait se confondre avec ce personnage imaginaire qui ferme les yeux en prenant une grande respiration.

Elle posa un pied après l’autre sur le bitume, en faisant semblant de se laisser porter par le hasard.

Elle pouvait marcher sans fin et s’enfoncer dans l’inconnu, voyageuse sans bagages, libérée de tout, même d’elle-même. Légère comme la brume, poussée par la brise. Et l’histoire n’aurait pas d’autre fin que sa dissolution dans un monde où rien n’est séparé.

Elle pouvait rester ici, s’asseoir à la terrasse d’un café, devant la gare, et regarder passer les silhouettes laborieuses qui s’en échappent. Des silhouettes grises et noires sans plus d’épaisseur qu’une feuille de papier. L’une d’entre elle pendrait tout à coup de l’étoffe, un visage commencerait timidement à se dessiner, brouillé par la distance. Puis l’expression du visage se révèlerait, comme une vague lueur.

L’histoire elle-même pourrait-elle enfin commencer à se déployer? Le paysage restait désespérément vide. C’était comme si elle n’avait franchi aucune distance, marchant dans un décor qu’elle avait elle-même construit. La rencontre était-elle réellement possible dans un labyrinthe?

Elle referma la porte et recula dans l’ombre.

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