La nuit est tombée sous mon toit percé d’étoiles. Les esprits s’étaient révélés comme autant de tintements silencieux, avançant à pas lents puis se retirant dans les ombres, sans jamais disparaître tout à fait.
Archives de l’auteur : JZ
Esprits
J’ai d’abord entendu leurs chants de joie, aussi légers que le bourdonnement des abeilles. Et puis j’ai vu tout à coup des lumières scintiller dans le tremblement des ombres, qui venaient de toutes les directions du ciel.
Horizon
Vérité de parole au bout de la ligne de fuite. Silence sous la ligne de flottaison.
Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 17 mai 2007.
Retour
Mon cœur chavire et j’ai parfois la nausée. Je ne sais pas sur quel pied danser, funambule, un fil me traverse de part en part et je tournoie.
J’aime marcher. Sur les sentiers un peu escarpés, je sens mon corps en mouvement, mes muscles qui travaillent, je me sens exister. Libre. Seule. Une. Habitée.
Mais, sur les sentiers un peu escarpés, j’ai parfois peur de manquer d’équilibre et de sombrer. Mon cœur se soulève, car je me vois et je sens mon corps endolori par la marche, se disloquer dans la chute.
Ma capacité à faire confiance, à me faire confiance, à croire en les autres et en moi s’est abîmée. Ma foi a subi une érosion qui me laisse ce poids sur le cœur. Pourtant cet équilibre est en moi, là, ici. Je ne tombe pas. Mes pieds me guident, humbles, au contact du sol irrégulier.
Si seulement je me laissais aller, je pourrais sentir mes racines, celles qui m’ancrent en moi, sans me lier, sans me retenir, sans m’étouffer. Celles qui m’ancrent dans la vie, pleine, entière, profuse, complète.
Mon cœur pourrait chavirer sur un pas de danse, un tourbillon de rires, une ode à la terre vivante.
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Sérénissime, 16 mai 2007.
Cheminer
Avoir le droit d’avancer, avoir celui de reculer. Rebrousser chemin. Prendre un chemin de traverse. Un raccourci. Le chemin des écoliers. Un sentier. Une piste. Les impasses. Les passages. Arpenter. Bifurquer. Se fourvoyer. Faire un crochet. Venelle. Raidillon. Tourner en rond. Avoir le droit d’avancer, avoir celui de reculer.
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Sérénissime, 30 avril 2007.
En chemin
Ce que je trouve difficile lorsqu’on chemine vers soi – mais cela vaut aussi pour beaucoup de chemins –, c’est que lorsqu’on a atteint un point culminant, ou qu’on a franchi un obstacle, alors on aperçoit la suite de la route, et elle est encore si longue, tellement longue… et si pleine d’embûches. Des zones de jungle inextricable où donner des coups de machette ça et là est la seule manière d’avancer ; des zones désertiques, où règne le silence, la solitude et la mort ; des parties de la route sont bloquées par des éboulis ou des arbres abattus par la tempête.
Je suis une bonne grimpeuse, car, dans certaines circonstances je suis très obstinée, mais je redoute les descentes. On utilise alors des muscles peu sollicités d’ordinaire, qui deviennent vite douloureux, on est entraîné dans la pente au risque de la dévaler brutalement.
Heureusement, parfois, on peut ralentir le pas, car on a toute la journée devant soi et le ciel est limpide. S’arrêter au bord d’un ruisseau et profiter de sa fraîcheur. Contempler le paysage.
Si tourmenté qu’il soit, on peut toujours y trouver de la beauté.
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Sérénissime, 17 avril 2007.
Les yeux fermés
Dans un élan de printemps, un instant revigorée, je savoure quelques petits pas. J’imagine la sensation de la mousse des bois sous mes pieds nus, puis celle de l’eau fraîche d’un ruisseau et son délicat clapotis. Le bruissement des branches au travers desquelles filtrent quelques rayons de soleil et le chant des oiseaux me ravissent.
J’essaie maladroitement d’inspirer du plus profond de mes poumons ces instants fugaces, sans les retenir, sans m’y accrocher, comme regarder tranquillement passer les nuages dans un ciel sans fond.
Ephémères, il n’en restera qu’une vapeur légère au parfum de rose.
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Sérénissime, 5 avril 2007.
Plainte
J’ai du mal à parler de moi sans me plaindre. Enfin, c’est ce que je ressens dans le regard des autres. Je me sens souvent aussi, bizarre, dans le regard des autres. Alors je parle peu. C’est trop douloureux de se sentir à part, sans réellement comprendre pourquoi. Je ne sais pas comment changer. Devenir moins craintive. Cesser de laisser involontairement filtrer de moi mes blessures, ma peur et ma colère.
Je voudrais ne plus faire peur.
Je voudrais être sereine, enjouée, sociable, pleine d’aisance.
Je voudrais sortir de ma peau de petite fille écorchée vive, maigrichonne, incertaine.
Je voudrais cesser de penser que je n’ai pas de valeur, que ma voix n’a pas de poids, qu’il vaut mieux se taire.
Je voudrais quitter ma léthargie, mon inertie, mon incapacité à vivre pleinement.
C’est trop dur, cette vie amputée, incomplète, rabougrie. Cette pesanteur épuisante, cette tension permanente.Et voilà. Je me plains.
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Sérénissime, 29 mars 2007.
Un coeur
Trois fleurs sur la Lune. Iris, opale, verdoyante. Elles frémissent sous la caresse du vent solaire. Leurs pétales s’ouvrent et se referment comme un cœur qui bat. Diastole, systole. Un cœur qui bat. La lumière, poudre d’or en suspens, immobile, figée dans le vide, attend de reprendre sa course.
Il y a en moi ce vide, là, au centre, cette béance dans le plexus solaire, cette plaie qui saigne et qui ne guérit pas faute de mots. Ces mots, qu’il suffirait de prononcer pour tout effacer, pour que la lumière file son rayon glacé, pour que l’arbre sec fleurisse à nouveau et la source bouillonne une eau de vérité.
À la place des mots, il y a cet œil qui larmoie et me surveille, de loin. Muet, sourd aussi peut-être.
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Sérénissime, 25 mars 2007.
Au petit matin
Assise sur le canapé, j’écoute les bruits du dehors, les bruits de la ville. Le clapotis de talons féminins sur le trottoir, un engin mécanique plus loin. Une porte de voiture claque. A l’intérieur, j’entends le goutte-à-goutte des radiateurs, le ronronnement de l’ordinateur. Une tension dans les épaules et dans le dos m’empêche de me détendre. Je n’ai pas encore ouvert les volets. Je ne veux pas réveiller mon tout-petit qui dort à côté.
Le téléphone a sonné, je n’ai pas pu répondre. Que lui dire ? Comment lui dire que je n’ai pas envie de la voir, elle, la veuve, la mère de ma mère. Je n’ai même pas vraiment élucidé pourquoi. Peut-être parce qu’elle vampirise son entourage. Une demande affective que personne ne pourrait assouvir, qui épuise celui qui en fait l’objet. Je ne veux plus, c’est mon leitmotiv. Je ne veux plus me sentir aspirée, vidée de ma substance, utilisée aux fins de combler des besoins aussi puissants que destructeurs, par ces mères, ces mères de mères.
J’ai tellement maigri ces derniers mois, comme si cette perte de substance, ce « vol » de substance, s’était inscrit dans ma chair. C’est étrange comme le bonheur que m’apportent l’homme et l’enfant avec lesquels je vis, peut côtoyer ce désespoir, la descente dans ce puits sans fond.
Mais, c’est justement parce qu’ils sont là, que je peux plonger dans ces eaux noires, oser faire un pas, puis un autre dans la nuit. Ils seront là, au petit matin, pour m’accueillir.
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Sérénissime, 22 mars 2007.
Réprimer ses émotions
Dans mon enfance, j’ai dû apprendre à réprimer mes réactions les plus naturelles aux blessures (par exemple la rage, la colère, la douleur ou la peur), de crainte d’une punition. Plus tard, à l’école, je fus même fière de mon aptitude à la maîtrise de soi et à la retenue. Je prenais cette capacité pour une vertu, et en attendais autant de mon premier enfant. C’est seulement après avoir réussi à abandonner cette vue de l’esprit que je parvins à comprendre la souffrance d’un enfant auquel on interdit de réagir de manière appropriée à une blessure. On l’empêche ainsi d’expérimenter, dans un entourage bienveillant, la façon de se comporter envers ses émotions, afin que plus tard, au lieu de craindre ses sentiments, il puisse s’appuyer sur eux pour mieux s’orienter dans la vie.
Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, Flammarion, 2004.
Laisser
L’angoisse revient. Je raconte, sans raconter. Pas d’histoire, que des pensées. Déformées par les maux de têtes qui récidivent ces dernières semaines. Par moments, je me sens libérée, à d’autres, acculée comme une bête traquée. Je les repousse, je veux prendre mes distances, mais ils tirent sur la corde qui me lie à eux. Je les sens à l’autre bout de cette corde, qui, comme une laisse, m’empêche de m’évader, ils y font un nœud qui m’asphyxie. Cette corde -ce cordon dirai-je avec ironie et amertume-, c’est tellement difficile de la couper. Elle est trop grosse, trop solide. Je n’ai réussi qu’à l’user un peu.
Aujourd’hui, je me sens cernée de toutes parts, il y a comme un brouhaha sourd qui règne dans ma tête, une multitude de voix qui chuchotent. Et je ne comprends ce qu’elles disent. Peu importe.
C’est bizarre ce mot «laisse». Laisser, laisser un peu de liberté au bout de la corde?
Laissez, laissez-moi partir!
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Sérénissime, 21 mars 2007.
Bloguer ou ne pas…
Depuis que je tiens ce blog, c’est-à-dire pas très longtemps, je me demande régulièrement si vraiment je devrais continuer. Est-ce une forme d’expression qui me convient? Comme à mon habitude, je n’arrive pas à vivre la chose avec légèreté. Non pas qu’il s’agisse d’une activité (forcément) frivole, mais je m’y investis émotionnellement à l’excès, et par conséquent, le plaisir d’écrire et de simplement partager n’est pas toujours au rendez-vous. Quand certains arrivent à vaincre leur timidité par le truchement de leur blog et se laissent aller à se montrer sans crainte, moi, je n’y arrive pas. Je ressens ici les mêmes blocages que dans la vraie vie, la même peur de passer inaperçue derrière ma réserve, la même difficulté à aller vers les autres pour créer des liens.
Etrangement, j’ai la nostalgie de ce carnet que j’ai tenu quelques mois, avant celui-ci. J’y avais moins l’attente d’être lue, je lançais mes mots comme des bouteilles à la mer. Je n’avais à ma connaissance que quatre lectrices, mais leur fidélité et leur amitié me touchaient plus que tout.
Pourtant j’ai envie de persévérer, ici, dans mon nouveau chez moi. Mais quelques changements s’imposent. Premièrement, je vais reprendre mon ancien pseudo, Sérénissime. Même si la sérénité n’est pas exactement ce qui me caractérise, je m’y reconnais plus, tout simplement. C’est Venise qui me l’a inspiré, et Gracq et son Rivage des Syrtes, deux lieux dans lesquels je me sens bien, qui appartiennent à la trame de mon histoire. En revanche, Apprentie -même si cela évoque en quelque sorte une réalité quotidienne, celle d’apprentissages toujours renouvelés, encore et encore- ce n’est pas moi, il y a quelque chose dans la sonorité qui ne chante pas en moi. Alors exit, Apprentie, je « retourne vers moi » et les prochains articles seront écrits par Sérénissime.
L’autre changement que je voudrais mettre en oeuvre concerne les catégories de ce blog. J’ai du mal avec cette notion. D’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles j’avais opté pour WordPress était cette possibilité de ranger un article sous plusieurs catégories. Je préfère de loin le système des mots-clés, dont j’use et abuse avec gourmandise. Supprimer les catégories? Mes articles ne peuvent prétendre à l’unité de ton ou de style d’une certaine porte ouverte par exemple. Et ni à venir se ranger sagement dans des tiroirs prédestinés par moi-même. Sans doute est-ce le chaos dans mon esprit, comme l’expression d’un refus. Un refus dans lequel je me reconnais tout entière pour le coup!
Alors le chantier est ouvert. D’ailleurs si vous avez des suggestions, je suis tout ouïe.
Ligne d’horizon
Un sac de courses au bout de chaque bras, je me sens étrangement soulagée par ces poids qui me lestent. Ancrée dans le macadam à la lueur des réverbères. J’avais donc si peur de n’être plus rien, prête à disparaître, déclinant comme ma courbe de poids au fond de la mer? Je suis là. N’en déplaise à ce tourbillon qui m’aspire aussi facilement qu’un fétu.
A part ça, ma participation au concours de vélos chez Gilsoub et Jathénaïs:

Soledad
Vivre en ours, vivre en hibou, se confiner, se cantonner, se barricader, monologuer. A part, à l’écart, en aparté. Sauvage, solitaire, soliloque. Se réfugier derrière les mots, se cacher dans leur épaisseur, se pelotonner dans leur bruissement. Ecouter une mélodie ténue comme un fil de soie, sentir ce voile en soi qui ondule, à peine, sous le souffle d’une vie.