Laisse advenir

Après mon accouchement qui a bien failli se terminer en césarienne d’urgence, je me suis sentie trahie, par mon corps qui était censé savoir accoucher, par ma sage-femme, par tous ces récits de naissance idylliques dont je m’étais abreuvée. J’ai aussi accusé mon obstination, mon entêtement à réussir. Oui, je voulais réussir. J’étais convaincue que j’allais réussir. Dans ma préparation mentale, j’avais envisagé que les choses pouvaient mal se passer, mais c’était pour exorciser ma peur. Je n’y croyais pas. Je m’étais avant tout concentrée à apprivoiser cette douleur inconnue que je voulais affronter.

Quand tout a dérapé, que l’échec a surgi comme un spectre, sur l’autre planète sur laquelle, pourtant, j’avais été transportée, une autre sage-femme, venue en appui, m’a parlé doucement. Je ne me rappelle que sa voix douce et consolatrice et peut-être quelques mots, « on ne peut pas tout contrôler », « lâcher-prise ». Est-ce les mots qu’elle a employés je ne sais pas. Je me souviens que je ne comprenais pas ce qu’elle disait, juste que sa voix m’apportait comme une ombre de soulagement. Contrôle? Je ne me sentais pas concernée. Comment pouvais-je plus lâcher-prise? Comment pouvais-je plus me laisser aller? Que pouvais-je contrôler quand la douleur me prenait et m’étreignait avec une force inouïe puis me rendait au monde comme un navire échoué sur une plage? J’avais accepté cette douleur, et la colère, et la lassitude, et la joie, et la peur, et l’impatience, toutes les émotions qui jaillissaient comme une foule hurlante et murmurante à la fois. Que pouvais-je lâcher encore, que pouvais-je laisser encore échapper de moi, sinon cet être étrange qui m’habitait?

Qui m’habitait et tardait à prendre son envol, tête défléchie, ça n’arrive qu’une fois sur dix. Alors? Le hasard? L’absence de hasard? Un noeud bien emmêlé de petits fils, faudrait-il tirer sur chacun pour remonter jusqu’au coeur?

Depuis des mois, ce besoin de réponses me poursuit comme un essaim d’abeilles.

Et puis, ces jours-ci, une lueur de compréhension semble faire route jusqu’à moi. Un point de lumière dans la brume qui m’enveloppe. Je ne saurais le traduire en mots, tellement c’est ténu.

Mais voilà qu’un voile sombre s’est envolé…

Les bienfaits de la colère

Alice Miller parle beaucoup de la colère et de la haine. Ces émotions ne devraient plus nous détruire du moment que nous pouvons clairement identifier les personnes qui nous ont fait souffrir, c’est-à-dire le plus souvent nos parents. Ces émotions sont douloureuses, mais elles sont la preuve que nous sommes bien vivants. Leur résurgence nous rappelle ce que nous avons subi et nous aide de cette manière à rester lucide. Elles sont des signaux d’alerte que la situation que nous vivons nous fait violence, tout comme certaines manifestations de notre corps.

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 12 février 2007.

Fatigue

Je ressens tout à coup une immense fatigue. Comme si chaque victoire devait se payer chèrement. Je crois que mon pire ennemi reste cette peur terrible de l’abandon et de la solitude.
Se dire, on ne peut abandonner l’adulte que je suis. Se le dire, se le dire…

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 11 février 2007.

La peur

Dormir, ne pas dormir. Se libérer, s’affranchir. Avoir peur. La peur au ventre, la nausée, les vertiges. Ne pas sombrer, ne pas se noyer. Ma gorge se serre. L’abandon… non… la solitude. Elle n’est pas réelle. Mes soutiens, mes amours.

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 9 février 2007.

Cauchemars

Depuis que ma fille marche, je fais régulièrement des cauchemars. Je ne me souviens pas en avoir fait autant depuis sa naissance. Celui de la nuit dernière est parmi les moins terribles. Je suis avec elle dans un lieu que j’ai visité, en écrivant je me rends compte que ce lieu, ce sont des souterrains sous l’église de la Nativité à Bethléem. Est-ce bien là que Saint-Jérôme a rédigé la Vulgate, ou suis-je en train de tout mélanger? Ma fille est attirée par tous les escaliers, monter descendre, monter, descendre. Mais dans le rêve bien sûr elle tombe. Je me souviens de ma frayeur, de ce frisson glacé qui me traverse. Elle est en un seul morceau, le visage tout écorché.
Le plus terrible rêve dont je me souvienne ces dernières semaines. Je suis à l’avant d’une voiture et mon mari conduit. Ma fille est sur mes genoux, pas attachée. J’ai une discussion véhémente avec mon mari dont j’ignore la teneur et l’horreur se produit. Elle tombe par la fenêtre ouverte de ma portière. Il faut le temps que la voiture s’arrête. Je descends comme une furie. Elle est étendue au milieu de la route. Un bus arrive et roule sur son petit corps. Je hurle. Un hurlement s’empare de tout mon corps. Je sens encore cette glace qui me fige dans mon cataclysme.
Un autre rêve, elle tombe du bus dont le chauffeur avait ouvert la porte en roulant. Pourquoi pourquoi? j’interroge le chauffeur.
Une nuit, plusieurs cauchemars se sont succédés au point que j’ai décidé de me réveiller pour faire cesser ce carnage intérieur. En écrivant, l’angoisse de ces rêves m’étreint à nouveau et je suis près de suffoquer. Je suis responsable. Responsable de sa vie. Cette conscience ne s’est fait jour que progressivement au fil du temps. Et maintenant qu’elle part explorer le monde, avec l’énergie de l’obstination et de la persévérance, cela me frappe en plein visage, comme une grande vague salée.

Bosch-Saint-Jérôme
Jérôme Bosch – Saint-Jérôme

Ira Levin, Megan Lindholm

un bonheur insoutenable Un bonheur insoutenable, d’Ira Levin. This perfect day comme titre original, paru en 1969. Un livre de science-fiction (sur Wikipédia, ils disent un roman d’anticipation contre-utopique…), lisible aussi par ceux qui n’aiment pas ce genre et ont oublié que 1984, de George Orwell, ou Le meilleur des mondes, d’Aldous Huxley, devenus des classiques, en font aussi partie.
L’histoire d’un homme qui se révolte dans un monde totalitaire où le bonheur est obligatoire. La vie de chaque être humain, sous camisole chimique, est entièrement gérée et contrôlée par un ordinateur. Même si on y lit peut-être avant tout une critique des dictatures communistes, typique de la période de la Guerre froide, certains aspects sont étrangement visionnaires de ce qui semble se profiler pour nous, contemporains de 2007.
Le suspens est prenant, et la clé du livre est surprenante. A rajouter sur votre pile, donc! ;)

Je viens tout juste de finir Alien Earth de Megan Lindholm (alias Robin Hobb). Il s’agirait de son premier livre de science-fiction, paru en 1992. Je sais bien qu’en 1992 les problèmatiques écologiques majeures auxquelles nous sommes confrontés étaient déjà bien connues (mais peut-être pas par le grand public… enfin en tout cas l’info était déjà tout à fait disponible), mais je trouve quand même ce roman visionnaire. La Terre, rendue inhabitable par l’Homme (franchement cette majuscule… :( ) a été évacuée plusieurs millénaires auparavant. L’espèce humaine, hébergée sur une autre planète, vit sous la coupe réglée d’un « Conservatoire », un pouvoir dictatorial censé faire régner l’harmonie entre les hommes et l’environnement par tous les moyens. Un environnement dans lequel ils ne sont plus que des invités et encore… Pourront-ils un jour retourner chez eux, sur la Terre, le monde qui les a vu naître?
Les personnages ne sont pas aussi aboutis que dans les dernières séries de Robin Hobb, ni le style, mais c’est vraiment un bel hymne à notre belle planète unique…

Les adieux d’André et Dorine

L’écologie politique vient de perdre l’un de ses fondateurs, André Gorz. Cette nouvelle m’a beaucoup émue et je voulais la partager avec vous.

« Prévenir la gendarmerie », « des lettres attendent » : c’est le message qu’ont laissé sur leur porte le philosophe André Gorz, 84 ans, et son épouse Dorine, 83 ans, retrouvés morts, lundi 24 septembre, à leur domicile de Vosnon (Aube). Les deux octogénaires reposaient côte à côte. Près d’eux, l’amie qui leur rendait visite a trouvé des courriers à l’intention de leurs proches.

De son vrai nom Gérard Horst, l’auteur d’Ecologie et politique et des Adieux au prolétariat, longtemps proche de Jean-Paul Sartre, avait pris sa retraite en 1983 pour s’occuper de sa femme, atteinte d’une affection évolutive qui s’est doublée d’un cancer. Très épris, le couple s’était retiré dans cette maison, à 35 kilomètres de Troyes. Un voisin les a décrits comme « des gens simples et accueillants ».

Jean Daniel, avec lequel André Gorz fonda, en 1964, l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, où il fut rédacteur en chef sous le nom de Michel Bosquet, a vu dans leur décès « l’écrasante beauté d’une communion dans le suicide de deux amoureux octogénaires ». Le président Nicolas Sarkozy a « salué », dans un communiqué, « le singulier destin » du philosophe, « grande figure de la gauche intellectuelle française et européenne ». André Gorz aurait fait part à une amie, il y a quelques jours, de son désarroi devant l’aggravation de l’état de santé de son épouse.

Dans un ouvrage paru en 2006 et qu’il voulait le dernier, « Lettre à D. Histoire d’un amour » (éditions Galilée, 76 pages), André Gorz écrivait à Dorine : « Tu viens juste d’avoir quatre-vingt-deux ans. (…) Tu es toujours belle, gracieuse et désirable. Cela fait cinquante-huit ans que nous vivons ensemble et je t’aime plus que jamais. Récemment, je suis retombé amoureux de toi une nouvelle fois et je porte de nouveau en moi un vide débordant que ne comble que ton corps serré contre le mien. »

« Cette présence, ajoutait-il, fut décisive dans la construction d’une oeuvre dont la visibilité ne porte qu’un nom alors qu’elle fut celle d’un couple, le fruit d’un long dialogue. » – (AFP.)

Brume

Mettre de l’ordre dans mes idées, mes sentiments, mes émotions. Oui, mais pourquoi pas par le flot du chaos? C’est la confusion qui règne dans ce corps, cette âme, cet esprit. C’est une brume épaisse que je voudrais dissiper. Que dissimule-t-elle? Un petit enfant sans doute, dans sa cage de douleur. Il ne doit pas savoir qui il est. Il ne se distingue pas de ses bourreaux. Qui le protégera? Ce ne peut être que moi.

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 8 février 2007.