L’ombre ou l’exil

J’écrirai les archives du vent

Et
En ce feu entretenu
D’un pas dans l’ombre
J’entre
enfin

Dans l’exil

J’écrirai les archives du vent

Une ombre a jailli
Sans déchirer le voile
Sans
creuser ce sillon
Sans

Effleurer
la terre et ma plaie

J’écrirai les archives du vent

Au nom de mes îles semées
Cachée derrière la porte
fermée

Derrière
la dernière trace
d’écume

Comme une main levée

J’écrirai les archives du vent

Et même la nuit
me déshabillera de ma peau d’encre

accroupie devant le feu
j’irai

Dans le même temps
étincelle
et poussière

étincelle

et poussière

dans l’ombre
qui danse

Méditation

MEDITATION

 

Tu as pour nom

colline
sans visage

 

ouverte à la nuit

colline

sans
visage

 

au
bûcher des terres nues

 

tu traverses

ma gangue

 

et
ta langue râpeuse

m’extirpe

 

dans la nuit qui flambe

 

dans la flamme rauque

j’ai cru voir

colline
sans visage

 

tes
yeux

 

auprès des fleuves

esquissés

 

ils psalmodiaient

colline

le long

de
ta voix

 

ébréchée

par le vent

 

sans
visage

le
chant

 

des trembles

et des saules

en sifflant

visage

visage

visage oublié

colline

 

à
ton nord

fuyant

 


*

Paru une première fois sur le blog de Florence Noël, Panta Rei, pour les Vases communicants de mai 2010 et ici dans une mise en forme approximative… (les joies de l’html et de la css qui ne sont pas mon fort).

15 août

Ils avaient jeté leurs lignes dans le vide et, pris dans le tourbillon des traces laissées par la nuit, ils s’étaient endormis. C’est alors qu’ils l’avaient vue, couverte de sang, s’avancer vers eux, le regard éteint. Elle portait dans ses bras un gros poisson dont les écailles réfléchissaient les lueurs qui filtraient du vide. Dans le silence impénétrable qui s’était répandu dernièrement dans cette zone d’absence, ils contemplèrent cette image mouvante sans oser la toucher, jusqu’à la disparition complète du point coloré qui était ce qui restait encore d’elle. Un point, juste un point et puis plus rien. Un jour ils se réveilleraient et il serait temps de comprendre.

Levant

Eaux à toi
déhanchées
contre peau

tu trembles
sous tes ombres
sous le son
glissant
des voix

des voix
désolées en épines

quand j’ai perdu
au creux de toi
le chemin tordu
des os sifflants

tu auras beau
te
replier dans
ta
cage de
de douleur

je souffle
encore
en toi colline
qui craint caresse

cette source
de toi
tranquille
s’écoule

sang
je recueille
mains en coupe

et vibre
dans les voix
ranimées
dans les horizons
changeants

écarte-les
comme un voile
qui cloître ta bouche

ta bouche
incertaine

seule
dans les déhanchements
serpentins
de corps en fuite

fixés là

sans ombre
sans lumière

poussières gisantes
du vent pétrifié

qui porte les voix
entremêlées
à ce qui
te traverse

feu dansant
a saisi mon poing serré

s’insinuent
dans mes yeux
toi
dans ta disparition
drapée de froid

de froid
inhabité

les marques
de brûlure
sur ta peau écrite

tes malédictions
jetées
en ordre oblique

m’attendent
recroquevillées
devant l’est
ardent

la lumière se lève
sur tes ruines
enfant aimé

j’ai craint
ta caresse
et le froid de ta peau
de marbre

Orage

Je te bois
et tu tournes autour de moi
brise folle me fend
brise mes reins

d’une secousse
un tremblement
la fissure d’une goutte de pluie
sur la vitre

quand toi
traversé
par les rais de l’averse
tu me soulèves
d’un regard

Envol

Toi
vibre
météore

dans les couleurs de la mer
au centre des peuples
éteints

enveloppée d’une voile
de lenteur

circule
la sève
survole

encore

poussent tes heures
au ras des vagues

l’ombre des falaises
à tes pieds
s’évapore

à tes pieds
et les mains face au ciel
en éclats

tu reçois
la lumière

miroite
et toi

dans l’étirement de tes fibres

éclore
tu croîs

Ton nom, par Florence Noël

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(Photo : Florence Noël)

rien n’imprime rien
sur ma paume corrodée
sinon ton nom

je ne te cherche plus
-assez dit l’heure assez –
je ne cherche qu’en lèvres
en glacis de salive
bandées pour l’aube et son parfum de
chute

toi
magnifique élancement des mondes
que mon corset englobe
respiration d’un faune
dans le phrasé d’un phare
tu es cette petite lacune de ma fièvre
mon peu de mort
reçu sans égard

moi
que j’ai vu mourir bercée de feu
trempés à des tempes
mes doigts luire de douceur
avant d’effriter leur caresse
comme on s’ébroue d’un rêve

j’avoue

je ne te cherche plus
pentagramme écrié
quand ma bouche s’éride
dans la déchirure des mouchoirs

à quels signes de mon visage
renoueras-tu l’ombre à
mon nom
– similitude de nos nudités –

l’églantine s’allège de quelques épines
à ma cheville
sa joie d’être trouvée
est
ce que tu m’es pour nom

Florence Noël

***
Et pour lire mon texte sur les pages de Panta Rei, c’est ici.
***
Les autres participants aux Vases communicants de mai 2010:

France Burghelle Rey et Morgan Riet
Anthony Poiraudeau et Loran Bart
Anna de Sandre et Francesco Pittau
Mathilde Roux et Anne-Charlotte Chéron
Michèle Dujardin et Daniel Bourrion
Jean Prod’hom et Arnaud Maïsetti
Christophe Sanchez et le coucou
Antonio A.Casili et Gaby David (english)
Michel Brosseau et Christine Jeanney
Matthieu Duperrex et Pierre Ménard
Joachim Séné et Franck Garot
tiers livre et kill me Sarah
Juliette Mezenc et Ruelles
Cécile Portier et Luc Lamy
Chez Jeanne et MatRo7i
Landry Jutier et notes&parses
Ana jardin sauvage et Piero Cohen-Hadria
Florence Noël et Juliette Zara
Arnaud Maïsetti et Jean Prod’hom
Marianne Jaeglé (Décablog) et Brigetoun (Paumée)

Armes

Ça prend l’intérieur
comme une tour assiégée
qui voudrait contenir les mots tissés d’ombre

je cherche la détente
et l’explosion
je rêve de nuées d’oiseaux défroissant leurs ailes
dans l’antre de démesures qui n’ont pas de noms

j’attire à moi
les ruines
de mes songes repliés

et quand la nuit
me saisit

toute résistance vaine
je rends les armes

cette pointe
fichée
dans la ramure d’un monde sans racines

Ils

Ils s’attroupent
ou
clignotent
à rebours

s’effacent
blancs
sous le monde

ou
s’estompent
vapeur
sur le fil de.

Ils ne
sont pas
nos ombres
ni
nos pas

des lueurs
détachées
dans les nuits
de
nos jours

de nos

nos fantômes.

Hameau, par Jean Prod’hom

Le soleil levé avant l’aube essore le ventre gras de la compostière, Corentin est au bois. À Pra Massin les fenêtres sont grand ouvertes, c’est le printemps, la grande affaire.
Personne dans la maison, les rideaux font le dos rond, caressent en retombant la tablette de la fenêtre, un signe de la main, c’est le cru de la cave qui monte prendre l’air. Mais on respire là-dedans, les braises rougeoient et on devine, enveloppés d’ombres, la veste de Corentin, le linge à mains près de la cheminée, un semainier, l’évier de porcelaine ébréché. La nappe sur la vieille table en bois, quelques fruits, un marron et un gland, des clous sortis du fond des poches. Personne pourtant, les rideaux faseyent, c’est le monde immobile qui appareille.
Dehors, c’est comme dans les livres, mais la terre a le ventre mou, les crocus et les nivéoles sont détrempés. Les mésanges bataillent, les pierres sonnent creux, le ruisseau sort de son lit.
Repousser les mots, ne pas prolonger pour l’instant une intrigue qui n’a pas commencé. Il sera assez tôt lorsque le soleil déclinera d’effeuiller les images, décoller morceau par morceau les lambeaux des récits qui tiennent debout nos vies. Quelques mots devraient suffire à la fin, lorsque l’ombre se sera dérobée, lorsqu’on verra s’éloigner les nuages et le vent, et le dedans aller dehors.
Deux ou trois choses laissées là pour rappeler la légende de mars, comme s’il y eût quelqu’un autrefois, mêlé aujourd’hui aux ombres des noyers sur la pente qui mène au ciel. Avec derrière une autre maison, les volets fermés, dedans une vieille qui a tout laissé dehors, comme si elle allait y retourner.
Mais lorsqu’on lève les yeux pour reprendre à la ligne, plus bas, les yeux n’obéissent plus. Est-ce ainsi ? est-ce bien ainsi ?

Jean Prod’hom

***

Les autres participants aux Vases communicantes d’avril:
Kouki Rossi et Luc Lamy
Pendant le week-end et Ruelles
Jean Prod’hom et Juliette Zara
Marianne Jaeglé et Anthony Poiraudeau
Cécile Portier et Loran Bart
Christophe Sanchez et Murièle Laborde Modély
Christine Jeanney et Kathie Durand
Sarah Cillaire et Anne Colongues
France Burguelle Rey et Eric Dubois
Fleur de bitume et chez Jeanne
Mathilde Rossetti et Lambert Savigneux
Antonio A. Casilli et David Pontille
RV.Jeanney et Jean-Yves Fick
Brigitte Giraud et Dominique Hasselmann
Guillaume Vissac et Juliette Mezenc
Michel Brosseau et Arnaud Maïsetti
Florence Noël et Brigitte Célérier
François Bon et Laurent Margantin
Michèle Dujardin et Olivier Guéry

Jour Ordinaire

« Je ne t’aime pas » le quai du métro est bondé il est tard pourtant on est là tous comme des manchots sur la banquise par milliers prêts à se jeter à la mer avec la moiteur les remugles les exhalaisons fétides en plus je te vois sans le vouloir

{abattement, boulot, crevés, claqués, écumes, excrétions, humeurs, infections, lessivés, parfums, peines, pestilences, relents, soucis, sueur, surmenage, touffeur, turpitudes, vapeurs}

mais putain quand est-ce qu’il arrive ce métro ? je pourrais me jeter dessous tiens quelle idée mourir pour ça pour toi et je vais devoir supporter ta présence pendant tout le trajet du retour ? non tu vois cette douleur-là c’est comme une brèche de lave dans ma poitrine ça pourrait cautériser la plaie mais non ça brûle et en même temps une soudure brutale de mes côtes tu vois tu t’y connais à me faire souffrir tu connais mes fissures tu as trouvé les outils qu’il faut et ce putain de métro qui n’arrive pas et cette foule qui s’agglutine non je ne pleurerai pas à quoi bon tu peux pleurer dans le métro tout le monde s’en fout ils détournent le regard c’est mieux comme ça

{apathie, mépris, indifférence, absence, abstention, anesthésie, assoupissement, cruauté, dédain, désaffection, désinvolture, détachement, égoïsme, éloignement, frigidité, froideur, impassibilité, inattention, incompréhension, incrédulité, incuriosité, indétermination, indolence, insensibilité, je-m’en-foutisme, neutralité, nonchalance, oubli, refus, sécheresse, stoïcisme, tiédeur}

« je ne t’aime pas » pourquoi j’ai choisi de souffrir ? je crois que je ne veux pas admettre que pour une fois tu es sincère que tu me dis quelque chose d’important dix ans pour ça ? je voudrais me sentir torche et mettre le feu à tout le bastringue mais toute la douleur s’est réfugiée là au centre c’est tellement plus facile de se sentir victime de se laisser faire se laisser glisser dans la fosse de vouloir mourir

{Antigone, Ariane, Cléopâtre, Dalida, Didon, Dorine G., Emma B., Eurydice, Iseult, Jean S., Juliette C., Ophélie, Marilyn M., Phèdre, Romy S., Sylvia P., Thisbé, Virginia W.}

je ne veux pas regarder je ne veux pas te voir je monterai dans un autre wagon si ce métro se décide enfin un jour à arriver comment peut-on être là à ce point-là englué sur un quai de métro sale dans cette puanteur à regarder les rats se faufiler derrière les fauteuils du quai d’en face ou les clodos déjà dans un autre monde leur échappatoire emballée dans un sachet en papier kraft et qu’est-ce qu’il a celui-là à côté il veut ma photo ? il a jamais vu quelqu’un qui a une envie pressante de se jeter sous une rame de métro ? non en fait il doit plutôt être en train de mater la femme dénudée en quatre par trois dont le corps est vendu par les Galeries Lafayette aux voyageurs

{affiche, agression, annonce, battage, boniment, bourrage, bruit, campagne, dèche, dénudé, dénuement, encart, femme-objet, fric, indigence, indécence, manque, matraquage, misère, mouise, nudité, obscène, pauvreté, pollution, propagande, prospectus, publicité, réclame, Sdf, sexisme, slogan}

« je ne t’aime pas » c’est maintenant que tu t’en aperçois et tu pouvais pas attendre qu’on soit chez nous que je puisse te claquer une porte au nez ? je sais bien que pour une fois tu dis la vérité mais tu vois je n’ai plus la force non vraiment plus la force me laisser glisser et pourtant c’est le contraire je suis en train de me pétrifier sur place dans la promiscuité avec les manchots mes compagnons de route involontaires sur ce quai de métro ne me regardez pas surtout faites comme d’habitude comme si tout ce monde-là n’existait pas où irions-nous s’il fallait faire exister toutes les ombres qui hantent les métropoles il y a bien des stations de métro désertes pourquoi tu n’as pas choisi de me livrer ton cœur dans une station déserte ? et merde ce métro qui ne veut pas venir non tu as bien fait finalement j’aurais été moins seule qu’au milieu de tous ces joyeux usagers du métro ça aurait eu moins d’effet à quoi bon assassiner quelqu’un dans une ruelle sombre au milieu des poubelles quand on peut le faire au milieu d’une foule dans l’indifférence générale avec les poubelles en prime ?

{abject, crasseux, blafard, crime, écœurant, glauque, ignoble, infâme, inquiétant, livide, louche, lugubre, nauséabond, obscur, répugnant, sinistre, sombre, sordide, suspect, trouble}

« je ne t’aime pas » et les rats j’avais oublié les rats parfaits pour le décor je te déteste tu sais tu n’avais pas le droit de me dire la vérité pas après dix ans je suis injuste oui je sais toi ce n’est pas sur un quai de métro que tu es englué c’est ton passé qui est ton éternel présent allez viens le métro arrive j’ai beaucoup d’endurance à la douleur tu sais et je n’ai pas encore vu le bout du rouleau.

***

(Texte initialement paru sur le blog Koukistories dans le cadres des Vases communicants de mars 2010)

Baigneuse

La nuit s’enroule
dans le jour
encore

volutes
d’encre noire

encore

baigneuse
sur le pas de ma porte
emportée

que l’air cesse

de vibrer

que l’air cesse

de déposer
à la surface

que l’air cesse

des choses
l’empreinte

la caresse

des choses
de ta main

une caresse

sur la joue
d’une baigneuse

Rosée

Les âmes
s’évaporent
dans le levant

rosée

s’insinuent
caressantes
sous ma chemise

souffle

et laissent
sur ma peau
transie
cette eau

murmure

qui s’écoule
muette

entre mes seins

On lui dirait

On lui dirait que non décidément décidément non elle est partie le long d’une note glissante comme un corridor autant de sons comme autant de lignes fuyant dans la vitesse quand toi tu tisses une vie où les ombres te regardent au fil d’un temps rongé par

la lèpre vestiges d’un drap de lin qui l’enveloppait mais on lui dirait que la route a changé que le chemin s’est déplacé que les traces se sont effacées comme autant de chansons effilochées dans les bourrasques de mer dans le grain dans celui que je n’ai pas voulu semer que je garde au fond de ma poche serré dans le creux des collines on lui dirait que tu es partie

que tu es là ou que tu es partie dans la répétition sans fin ou qui s’enfuit glissant dans le corridor penché un vrai toboggan reprenons le fil quand tu courais à perdre on lui dirait que non résolument j’ai perdu le grain que je tenais serré il germera peut-être peut-être où je ne serai pas où je ne serai pas là où je ne serai pas là pour le voir dans quel sillon

dans quelle nuit évanescente tu apparais tu disparais palpitation d’ailes de papillon ce chuintement mystérieux ou ces sons glissant comme des lignes un jour tomberont en volutes au pied d’une colline je vois ton épaule et le feuillage du saule qui la caresse et l’ombre du noyer je frissonne on lui dirait non enfin elle pourrait

lâcher ta main retrouver les traces d’une vie enfuie dans la poussière j’ai perdu le grain de cette vie au milieu des ronces en fleurs.