« Les objets contiennent l’infini »

C’était il y a longtemps, nous longions paisiblement la côte quand l’horizon devint dangereux. Fendant la terre. Trouant le réel. C’est dans une ligne que se résout cette énigme. C’est dans une ligne que tombe la mer et que disparaît le vertige. La perte de l’équilibre était dans l’horizon. C’était il y a longtemps. Ainsi devraient commencer tous les récits.

Claude Royet-Journoud, Les objets contiennent l’infini, Gallimard, 1984, p. 53.

(Poezibao)

Une Samaritaine

Toi que l’on dit qui bois de cette eau presque absente,
Souviens-toi qu’elle nous échappe et parle-nous.
La décevante est-elle, enfin saisie,
D’un autre goût que l’eau mortelle et seras-tu
L’illuminé d’une obscure parole
Bue à cette fontaine et toujours vive,
Ou l’eau n’est-elle qu’ombre, où ton visage
Ne fait que réfléchir sa finitude ?
— Je ne sais pas, je ne suis plus, le temps s’achève
Comme la crue d’un rêve aux dieux irrévélés,
Et ta voix, comme une eau elle-même, s’efface
De ce langage clair et qui m’a consumé.
Oui, je puis vivre ici. L’ange, qui est la terre,
Va dans chaque buisson et paraître et brûler.
Je suis cet autel vide, et ce gouffre, et ces arches
Et toi-même peut-être, et le doute : mais l’aube
Et le rayonnement de pierres descellées.

Une Voix, Yves Bonnefoy, in Pierre Écrite