On passe

On passe sans revoir le mausolée les loirs et l’indigence du bétail endormi sur la paille des enfants tournicotant tournicoti au bal des louves au luxe soleil dément formellement qui criaille au couchant

je me laisse passer devant toi invisible au feu les murs au mur me dévore on passe sans savoir ceux qui sous les cartons les vieux habits dans les vieux pots du neuf du preux du pieu au son des roues dentées craquent les jointures les coutures les morsures et le temps passe sans pleuvoir au hasard des ennemis ceux d’en face nos prochains sans éclair sans tonnerre dans le tremblement prisonnier des aventures terrestres

et tu cries tu n’as pas le choix c’est toujours ce que tu dis et on passe sans pouvoir sans vouloir au hasard des mots qui s’étalent devant à même la route à même les murs à même les visages inconnus qui défilent comme diapos saccadé le temps en mitraille suinte aux parois du corps à la langue poursuit le chemin en sens inverse en sens interdit au regard le regard fixe le regard fixé à la paroi aussi roche que sable aussi béton que ciment

le concret du temps sans terre où traces de pneus où herbes poussant dans les fissures tectonique des asphaltes on passe au seul reflet des flaques et des vitrines c’est le temps inversé ou le vent qui te pousse dans les retranchements de la ville et cette image répétée en boucle du passant qui ploie accroché à son parapluie retourné.

Vivant visage

Vivant visage
corps recyclé
vivant corps
visage veine
pulsatile
au réverbère
lumière temporaire
au store lumière zébrée
au matin être une autre
vivant visage
corps recyclé
cœur rétractile
au réveil à la nuit
entrecoupée
d’ombres de loups
de processions
phares
en rectangles mous
sur les murs
vivant visage
corps énigme
au matin
être encore
être une autre

Tu es ce pont entre deux dérives

Tu es ce pont entre deux dérives
une ancre
une hirondelle
une aube errante qui perce mes os

Ploie l’extase
au chant de trois gouttes de sang sur la neige
vibrent tes doigts le long de mon dos
à peine une caresse

Tu es ce pont
et je ploie

Tu es l’ombre et chaque brin d’herbe goutte de rosée je te bois

Tu es ce pont entre deux dérives
le tourbillon est toujours lent souffle sur ma peau

échappée dans tes gestes spiralés
et je ploie

j’ai froid tout à coup
une ancre
une hirondelle
une aube errante qui perce mes os

Dans la marge repliée du ciel

Dans la marge repliée du ciel
on contemple les océans défaits
et les arbres arrachés

on compte

las

la fixité des secondes et le silence des corneilles dans les champs
qui miroitent leur pluie contenue et leurs braises éteintes

on brume
on brumine
on assassine

on arrache son propre cœur pour le jeter aux ordures

a-t-on déjà vu ça
une décharge de cœurs à ciel ouvert ?

dans la marge repliée du ciel
on se retourne pour ne plus voir
on montre au monde
son dos zébré

on laisse échapper quelques gouttes de son sang
qui précipitent dans la mer pourpre
on poursuit la danse d’un sac en plastique en déréliction dans les rues
qui imite l’abandon de la feuille du platane aux rafales urbaines

dans la marge repliée du ciel
on dort d’un sommeil de houle glacée

on voudrait fermer les yeux
mais un grain de sable s’est insidieusement glissé
dans les rouages rouillés
de nos esprits
décorcelés

Debout

debout. je suis partie en courant sous la neige flottaison du temps enroulé à la branche qui dérive assise en accumulation de pensées au son des cordes discordantes parcelles effondrées le vent t’emmure en blanc peut-être en frottant frénétiquement les carreaux la lumière pourrait la lumière pourrait la lumière ? je suis partie jambes ciseaux fouettée par tes branches en suivant tes traces enluminées d’une flaque pourras-tu éclabousser d’encre mon ventre et mes cuisses je sème les terminaisons de mes nervures aux limbes découpés me croirais-tu quand tu vois ce paysage qui dévore mon visage ce point duquel tout s’échappe dissimulée dans le repli de l’aine la missive des enfants morts ces points de lumière dans le noir au son des cloches fendues alléluia dans le tourbillon lent des sentiers j’irai de collines en monts mis à nu ces lombes qui portent un corps enroulé je leur parlerai de toi. enfin.

Que tu disparaisses

Ce sont mes horizons
que tu sondes
mes plissements et mes glissements

Ce sont mes failles
mes argiles et mes limons
que tu griffes

Dans le mouvement
lent de mes plaques
traces assises
mes affleurements
et mes lignes érodées

Je suis lourde et pleine
écorce qui déferle immobile
dans l’effort
dans la poussée
dans l’enfantement

Roche mère usée
sous son drap noir
d’humus
ou de bitume

Je me couche
et tu me broies
mes fissures craquent
et vomissent leurs boues
et leurs eaux

Je vois bien que ta rage
n’aura de cesse
que tu te couches à ton tour
que je t’ensevelisse

Et qu’enfin tu me sois rendu
dans la décomposition
de tes influx fuyants
et corpusculaires

Trace

jardinière
tu m’as séparé
en deux
comme un cœur

je ne suis
soudain

jardinière

plus en toi
en moi tu n’es plus

séparés
par la ligne de désir

que tes pas
ont tracée
au fil des jours

tes grandes foulées
dans les herbes folles
de mes recoins
d’ombre

ton dos courbé
pour embrasser
les rêves
que tu as semés

je t’ai offert

jardinière

ce chemin
et tes pieds
l’ont chéri

c’est la trace
de toi
qui demeure
une brise légère
hors du chemin

en moi
séparé
en moi
imprimée

dans la mémoire
humaine

Ogresse

aussi dépouillée
que la terre nue
tu sèmes tes membres
aux quatre vents
de l’hiver

quel monstre d’enfant naîtra
de ton pied profané
de ta main raturée ?

aussi défaite
qu’une mer
aux genoux écorchés
tu gifles la rage
qui s’échappe de toi
en paquets hoquetants

En dernier (la guerre)

Au chant de la rivière qui marche tu danses tu siffles tu harmonises les trompettes fantassines tu pries tu cours tu cries tu essores les élans réprouvés tu cours tu cours dans la mélodie des arrières déplacés des muses labellisées au canon tu échoues au front des anges déclassés et prends la mouche des vaches au joli coche libelliste dans le miroir des fleuves incessants tu crois tu cris tu m’expliques la vie les vieux les volcans avec l’envie de tout foutre en l’air dans l’acide d’une tempête va va et ne pèche plus tu vois j’écris et sans crier je réponds qu’elle est là impudique et ignorée en peine de vagues ensanglantées non tu crois tu cris tu fais le tour de la croix tu mixes le tout à l’huile de coude tu gouttes et toc tu cours tu meurs tu brises les mœurs de leurs bonnes gens les calvaires les cimetières les trous tu pries tu ouvres l’heure des chœurs empaillés dans l’abri du temps ramasse à la pelle les ouvertures en ogive qui crissent couvercle au choix des pauvres dans l’artifice et l’artillerie des bombardiers slaves au garde à vous êtes foutus foutus foutus c’est pas la guerre c’est l’apocalypse des misères en terreur du temps enfilé au chas de l’aiguille je tords je prends je tire je lasse je casse avec les dents s’effritent les armées du dedans s’évertue et s’émerveille le chant plié des matines ondulées dans la moire uniforme du mercenaire embarqué dis-moi soldat pioupiou troufion rejoins tes troupes et garde-toi de divulguer la gent ailée au bousier.

Il ne restera de toi

Il ne restera de toi
que la mer à ton plafond
et un rêve de ruines
où tracer ta route

Tu laboures comme tu navigues
dans les nervures des voûtes
terrestres

Te laissant aspirer
dans le délitement volontaire
de tes pierres au corps

T’abandonnant au mouvement
irrésistible de ta disparition
tu t’amenuises tu te dépeuples

Je voudrais plonger dans ta faille
me promener dans ton éclipse
accueillir ta perte

Tu prendrais ma main légère
tu t’étendrais sur la peau de la mer
abolie dans la multiplicité de ses plis

Quoi que je fasse quoi que je tente
tu t’évaderas pierre après pierre
dans la beauté insupportable de tes ruines

Désormais indifférent à ma défaite

Plonge

Plonge dans tes larmes
Orbe dansant des pluies délaissées

Cours sur tes traces

Tu fais naître dans la fragile parure des lueurs toutes les petites choses qui germent sous tes pieds fertiles

J’ai pris

Encore la courbe des jours sur les marches qui conduisent à ta maison déclinante j’ai pris
et j’ai trouvé dans le silence d’une virgule les arbres en mots de poussière

On pourrait parler des âmes contenues dans le pincement de ton pouce et ton index sous la grenaille des prairies gelées

Mais tu préfères tracer la ligne de toutes les flottaisons dans le dos des merles en vadrouille et j’ai compris

Le visage de cette larme et son reflet pâle dans les nuits d’hiver où je voulais tout diluer tout délaver

Tout recommencer

Brèche en toi refermée

Brèche en toi refermée
Saigne blanc sur la pierre
recousue entrailles

Tu te creuses
au mur toi
à la petite cuillère

Soupire aux vents
des nuits plates
un filet de lueur

Une galerie
Proie tu es
Qu’on enfume

Danse sous les barbelés
De ta conscience
Tatouée

Bête traquée
Comme au temps
Tous les temps

Au sol plaqué
Muet se déchire
En toi la brèche

N’endigue plus
Le flot des sels
Brûlant tes coupures

Mieux vaut filtrer
Lueur intestine
Du corps lambeaux

Tu quittes et lâches
Infiniment recommencé
Le fil rompu

En forêt

Et tu trembles de tous les muscles de tes cuisses
Obstiné dans la posture de l’arbre tu glisses

Garde le rythme danse en cœur foule la joie
En glaise déçue obstiné tu frottes la corde

En criant de la terre nue plein la bouche
Ô souffle qui te vide jusqu’au talon

Et broie ta cage thoracique pourrait
Tordre les barreaux qui te transpercent

En volutes échappées crissantes
Dans un coin où tu craches perdu

Forêt en traces de biche tu suis
Dans l’ombre verticale en toi tes tripes

Perdu toc toc des pics
Tous arbres se ressemblent

Et tu trembles et tu tintinnabules
Creuses aux tympans un choc en retour

Pas de clairière pas de lumière
Sous feuilles brunes poussent ronces

Aux épines t’agrippent aux empreintes
Restes obstinément à la lisière

Un mur trois quarts, par Luc Lamy

armée

-El’chef Laumann…/… Jodoigne…/… à Peutie…/… un mur trois quarts…/… camionnettes vé-oué…/… douze véhicules…/… règlements…/… tout par cœur…/… Importance de l’information.
Dans ce bureau exigu
affublé du plus Tartuffe des deux…
Celui-ci soliloquait,
ressassant toujours les mêmes histoires
Leurs histoires au chef et à lui dans une autre caserne
du temps de Peutie,
quinze cents mots de vocabulaire,
forcément la syntaxe à ce prix-là,
laisse à désirer…
L’autre est en congé aujourd’hui,
(deux mille mots que je l’appelle )
il marie sa fille,
et en plus ça se reproduit ces trucs !
je lis “le voyage au bout de la nuit”
sous le bureau,
m’enfonçant davantage dans la grande muette,
faisant semblant de l’écouter en bon chien d’arrêt,
puis je brise le silence (c’est intelligent et susceptible malgré tout ces animaux-là,
faut pas les avoir à dos ! )
-Chef?
-Oui Marc?
-quand le chef n’est pas là
… Qu’il est malade ou qu’il marie sa fille,
c’est vous le chef alors?
-Oui Marc.
Content de ma petite diversion je me replonge dans Bardamu
en miroir du bouquin j’ai l’un des deux tarés devant moi
… Faire comme si j’étais plus bête qu’eux, que lui.
Y a du travail…
Des films de guerrr’ à rattraper,
une culture radio à revoir,
un univers de petites mesquineries à mettre au point pour détourner le minotaure,
des blagues de blondes et des troisièmes mi-temps de foot.
On apprend vite à être lâche et veule avec les petits caporaux… Chefs,
quand on est troufion
– Marc?
– Oui chef?
– à midi, quand t’iras à la cantine… t’iras brûler ce dossier ”top secret”
– Oui chef.
-… Et attention à ne pas le lire, hein ?!
– Ben non chef.
(silence)
– tu veux quand même voir ce qu’il y a d’dans ?
(re-silence)
– ben non vous venez de me dire que c’était top secret
– Allez! viens le lire, regarde (il ouvre la chemise)
je jette un œil circonspect mais néanmoins suffisamment appuyé pour qu’il croit que ça m’intéresse au plus haut point: rien d’intéressant, des chiffres, des lettres, des références…
– t’as vu ?
-Quoi ?
-On ne comprend rien…
-Ben oui.
– C’est codé! y a pas de danger !
(il remet tout dans le classeur et claque l’élastique avec un petit air important).
… Etc.
Zangra sans bataille, il pose le dossier où la fin du monde est inscrite en langage codé à côté de mes petits tampons et cachets
Mais chef…
-il n’y a pas de « mais », on est au mois de Janvier…
Et pas au mois de Mai
çà aussi c’était une pierre angulaire de son esprit qui le propulsait dans les hautes sphères…
Le cerveau au point mort, le plexiglas terne dans le regard,
sûr de son effet il tétait distraitement une mouche invisible…
Sa bouche de grenouille achevait l’illusion.
Sûr de son savoir et de ses choix…
trop jeune pour faire la seconde der des der,
il aurait battu en retraite à la troisième…
La retraite ? il comptait les jours…
Petite victoire sur le terne calendrier de sa guerre personnelle
armée2
(Caporal-chef “Quinze cents mots” , ‘81 ).


Une superbe petite VCF (volontaire féminine de carrière)
chauffeur du colonel,
entra en trombe dans le bureau pour sa feuille de route,
suivie de près par un autre caporal toutes gourmettes dehors,
Raybans de pilote, talons ferrés …
Une vraie caricature celui-là, et méchant avec ça:
l’a fait les faits divers plus tard …
Filmé par Manu, dans “les amants d’assises” il n’en menait plus aussi large sur le banc des accusés… Braquemart en berne.
Pathétique et défait ils avaient, sa maîtresse et lui, estourbi à coup de revolver de service,
le mari de la dame.
Pas bien çà !
Alors? On a arrosé le cresson hier soir ?
demanda l’autre…
Leur posant la question à tous les deux…
A votre avis ? fit ce crétin de “braquemart hissé ho”
Et l’autre de continuer de téter son diptère…
Rêveur et salace, il se perdait dans le bouton à moitié défait de la VCF,
à coup sûr il bandait l’imbécile avec ce qui lui restait de limace dans le froc.

armée3
(Sergent-chef “Deux mille mots” , ‘81 ).

Qu’ils étaient drôles mes chefs !

Luc Lamy
***
Mon texte chez Luc c’est par ici.
***

Liste des participants aux Vases communicants de février :
Aedificavit et Tentatives
Futiles et graves et Juliette Mezenc
à chat perché et Hervé Jeanney
Lieux et Arnaud Maïsetti
L’employée aux écritures et Hublots
Le blog à Luc et Enfantissages
Koukistories et Biffures chroniques
Soubresauts et Kafka transports
Pendant le week-end et Kill that marquise
Le Tiers livre et Fragments, chutes et conséquences
Scriptopolis et CultEnews
Liminaire et Litote en tête
Les lignes du monde et Abadôn
Pantareï et Éric Dubois
Les marges et Paumée
Lignes de Vie et Epamin’

Les ascenseurs

Tu verras ce que je t’ai promis. Ce lieu étourdi où on se laisse aller glissade obligatoire
ou ta tête
serrée dans un étau tacheté de rouille ces zones rugueuses et boursouflées toutes les nuances de l’ocre au brun au noir et cette poussière un peu grasse métallifère qui s’accroche
à tes doigts
tu t’en sers pour tracer sur le mur les graffiti de ta révolte c’est pas une vie c’est pas une vie et tu lui refais le portrait à cette affiche tu lui dessines une moustache tu lui crèves un œil tu lui arraches des dents. Et puis tu prendras l’ascenseur. Tu sentiras
sous tes pieds
le ballet invisible et vertical de tous les ascenseurs ceux qui montent ceux qui descendent les omnibus et les directs et puis un jour tu en auras assez les portes s’ouvriront quel étage, monsieur, madame, mademoiselle ? Je suis partie sans t’attendre. C’est le 7e étage pour
tes yeux
mais pour ton cœur écœuré on est déjà au ciel le dernier étage où on ne va jamais assieds-toi tu verras je ne t’ai pas menti tu verras. Regarde tous ces couloirs en étoile toutes ces portes ouvertes ou fermées toutes ces chambres tous ces lits tous ces corps invisibles juste des draps on les devine juste des pieds on refuse d’imaginer leur visage. J’ai vu
ton visage
et tes larmes et la vue du 7e étage par cette baie aux multiples épaisseurs une fenêtre qui semble ne s’ouvrir que sur une autre fenêtre qui ne s’ouvre pas et dehors tu t’assieds tu verras j’ai pris
ta main
pour t’emmener loin je ne veux pas t’oublier mais oui tu m’as dit bien sûr je ne t’attendrai pas je ne sais plus. Je crois que j’ai oublié quelque chose. Dans l’ascenseur peut-être. Devant cette affiche que quelqu’un a défigurée. Je t’en prie, je ne sais plus. Parle-moi. Raconte-moi. Je vais oublier. Je te vois encore au 7e étage et la vue par la fenêtre aussi. Et la rouille et
ta peau
desséchée ici il fait chaud pas d’eau plus d’eau sauf tes larmes tu pourrais boire tes larmes. Je sais je t’ai promis. Je te dirai tout. Tu sauras tout. Tu connaîtras l’étage et l’ascenseur et l’apesanteur. Promets-moi d’agiter ta main, je saurai que tu as atteint ta destination. Je m’assiérai et je t’attendrai au centre de l’étoile devant les ascenseurs.

(texte initialement paru chez Christine Jeanney, dans le cadre des Vases communicants de janvier)