Désordre

j’ai l’amertume en errance
bleuie par le froid des écorces

j’ouvre encore les lueurs des nuits pleines
en marchant dans les prières des herbes folles

le chemin pourrait m’avoir oubliée
rencontre écourtée par le vent des fuyants

oui la mère nuit tombe en un dais de palmes
une braise dans le creux de sa main de nacre

et la clé des partances germe dans le milieu
d’une échelle de Jacob convertie en pylône

stylite sur la ligne blanche aux yeux luisants
qui se couchera sur la bande d’arrêt d’urgence

l’esprit décroché volet battant sous l’empire
d’un grain qui veille corpuscule trop proche

je me fourvoie dans l’étroitesse des chemins
crépusculaires mots lourds accumulés en tumulus

j’ai reconnu le désordre de mes traces
et j’ai forcé le trait de ma fuite

Derrière le mur

Tu te laisseras partir plus rien d’autre à faire aller ailleurs éprouver ta nausée traverser ton désert épancher les mirages
Tu marcheras jusqu’à la porte entrouverte au milieu de nulle part pas besoin de frapper juste franchir le seuil de l’attente
Tu le sais
derrière le mur
il n’y a rien

Mille ans

Je pourrais me recueillir mille ans
devant la muraille des déserts

tour à tour émue dans l’ombre
contre l’âme des instruments de votre torture

tour à tour sœur de l’arbre debout
déporté vers les levants

Je pourrais marcher sur le fil
ardent du rasoir vos chevelures

endormir vos tourmentes
d’arbres au cœur craintif

jouer pour vous la musique de l’aube
ou le psaume de la mémoire des cours d’eau

Je pourrais disparaître un instant
ou mille ans dans la fente du seuil

m’élever dans la profondeur lente
des vies épuisées au bord des lèvres

sans la parole qui vous guérirait
poussières dispersées par le vent

Je vous vois encore à travers la muraille
vous étiez le troupeau dont j’étais le gardien

L’ombre de mes arbres
dans les ruines du silence

Dans l’oubli des voix

demeure une douleur
accompagnée par les voix
les figures d’un souvenir
les voix
de plus en plus nombreuses

les voix d’une vie
dans le détachement des corps
des lumières en pointillés
voie lactée jaune dans la nuit des villes

demeure une douleur
et je te vois
si loin
ce rocher dans le fleuve de la foule des trottoirs
transpercé par la rumeur incessante
délaissée par les voix

oublié le chant
oublié le souffle
dans le sommeil tourmenté et mouvant
d’une houle noire qui te tend les bras d’une mère
et te berce dans l’ombre douce de ses gouffres

pietà du fond des eaux
dans le sommeil des voix
demeure une douleur

Plexus

Une litanie a posé sa voix sur le rebord de la fenêtre

La lumière penchée éclabousse sagement ce qui dans le monde fait masse
là où l’espace entre les choses se resserre au point de former des objets
vivants ou morts
un relief dans la platitude des jours ambulants

Car justement
je marche dans un rêve
je marche assise devant un bureau
elle m’écoute déployer comme un roman mes différends administratifs
je n’arrive pas à la quitter je la suis je lui parle encore

Dans la litanie de tous les noms il y a le sien qui m’écoute depuis toujours

Ces lettres envoyées sous la chape du désert qui n’eurent jamais de réponse
ces formulaires ces attestations ces arrêtés ces certificats
deviendront les lettres écrites sur le front
qu’on ne pointera plus jamais du doigt

La lumière est aveugle pourtant qui enfante la forme et la couleur des choses
et nous nourrit avant de s’enfouir au centre des terres que nous sommes

Je marche dans cette ville inconnue que j’ai rêvée collage de cartes postales
sur les vitres d’un bus qui a fondu sur moi comme une gangue de stupeur qui ne respire plus

Demeure
Une brûlure solaire dans le plexus

Géologie de l’âme et du corps

1.
Tu pourrais être debout
face au mur

Ton regard fixe
pourrait créer la brèche

À l’usure

Être là
Pierre levée
ou
Coquelicot
Être là

Jusqu’à l’usure
Jusqu’à la brèche

2.
Tu voudrais être
les eaux du fleuve
qui enflent

Les eaux du fleuve
qui débordent

les murs

les murs les digues
les brise-lames
de toutes les eaux du monde

Tu voudrais te répandre
par dessus les bords
qui te contiennent

t’épancher dans les anfractuosités
des esprits sinueux

dans le creux des vallées

Tu voudrais saper les fondations
de leurs murs ceux que tu lèches
de tes vagues sourdes
et inconscientes d’elles-mêmes

t’infiltrer t’immiscer
dans leurs fissures

créer une voie d’eau
dans leurs certitudes

entrebâiller la brèche

Morsure

Tu étais entré et tu avais rempli la pièce
de crachin et de brume
une goutte d’encre dans un verre d’eau

Tu étais cet inconnu au visage familier
qui sait déjà les fêlures intimes

Marche au vent marche dans la blessure du temps
hérissé de tessons et de clous
Marche encore
vite
cours

je m’éteins dans l’arabesque des aubes chancelantes
épuisée vidée du sang de l’ombre

Tu étais celui qui tenait des propos incohérents
Ou étais-ce moi au seuil de la brume en corps confus
De quelle morsure parles-tu ?

Tu avais pris possession des lieux incertains de ma vie
et posé ce voile devant mes yeux
transfusé dans mes veines la cage de l’indifférence
tu m’avais coupé de tout à commencer de toi

j’entends ce cri qui s’échappe de ma bouche
des files d’insectes noirs montent le long de mes jambes
dans le crépitement des secondes des secondes
des secondes qui perforent l’attente en miroir brisé

Tu avais vidé mes tiroirs et mes armoires
renversé les objets et les meubles
déposé partout la poussière de tes gestes
rempli même tous les interstices de ma vie

Je t’ai regardé faire
avec mon âme bâillonnée
dans le corps défait
de quelqu’un d’autre

Torrent (à l’intérieur)

Tu te recroquevilles dans des gestes mécaniques
étrangère à tes propres mots
qui traversent la densité de l’air en flèches silencieuses

je me déploie avec une soudaine lenteur dans la chute du torrent sans cesse recommencée
boucle infinie des voix de l’eau fureur ralentie
ce plongeon bras en croix dans la douceur indicible du courant bouillonnant

sans fin tu t’échappes dans la main de Coriolis
dans le cyclone tu t’élèves et tu t’inclines
dispersée dans l’eau pulvérisée des voix alcalines

j’oublie qui je suis
étrangère ne jamais dire jamais
séparée errante

dans ma fissure béante tu t’infiltres
sable dans la plaie tu as saisi mon sang au poignet
dans l’ombre saccagée des rois muets

nulle empreinte laissée dans l’eau du torrent
mon corps gronde à travers toi
recroquevillée je dissimule mes mots au ventre tatoué

Le mur

Soutenue par l’arc-boutant hors de moi les traces

Un mur

Où s’affronter à la pierre
pierre des mots sculptés et je me ferai
bas-relief

Et toi je vois ta course ta fuite dans la nuit ponce
qui te fera poussière et chutes et scories

nourriture pour les monstres de pierre
hors de moi les traces

de toi
derrière le mur

et le torrent de tes mots pierres ne m’atteint plus

dos au mur
je n’entends plus tes cris
crissements insoutenables

Délivrée
j’enfanterai une trace nouvelle
dans la solitude

de l’au-delà du mur
né de sa brèche

Je regarde passer…

Je regarde passer les silhouettes miroitantes des flammes

leurs voix
résonnent
sous
les voûtes
d’ocre clair

Et assise sur un banc de pierre
je me sens soudain
prise dans l’axe polaire
la lente mise en branle
de la terre autour

Je fixe à mon front l’étoile de tous les nords
qui me traversent

Le cortège passe dans le silence des roses
et dans l’ombre d’un beffroi
je les vois qui rayonnent
sans questions

Tandis qu’à mon front une chose inconnue se consume
j’esquisse un geste
d’une main
blanche
dans le froid

Les silhouettes s’éloignent
avalées par la béance qui se dessine dans le lointain
et le rideau des jours à peine embrassé est retombé sur le vide

envoûté
de mon esprit
revenu au point de départ
des questions sans réponse

Permis de tempête (Tu danses (3))

Que pourrais-je avoir vécu dans le hangar soupesé de ta conscience un rien dans la terre infertile de tes claquements de doigts des cris inarticulés me franchissent dans le seuil de mon être-corps tant d’images de moi superposées filtres couleur philtre où perdre visage et bouche tu chercheras à qui appartient ce cheveu d’or déposé par la colombe et le long du corps y dort la même ondulation du mirage j’ai répondu à la quatrième question j’ai cueilli la fleur blanche et hissé la voile noire tu pars et dans l’effort de la cadence heurtée tu pars en guerre avec à l’âme cette épée nue plantée que pourrais-je avoir vécu que pourrais-je avoir vécu dans le hangar soupesé de ta conscience quand tu me tends ce bras mort où tu navigues avec tes souvenirs pour équipage et des chimères pour guide.

Tu danses (2)

Ou tu danses la pluie et l’orage fugitif paysage au train d’enfer déverse ta colère en fusion interne pluie d’acide couleur de rouille tu murmures ta litanie secrète tu secoues ta transe ta tête pleine de cailloux la route prise dans la chasse aux spectres tu prends ton bâton de pèlerin prophète percé le sable s’écoule de toi tu cherches ce lieu dernier du repos tu t’enveloppes dans ta toge cyclonique couleur de temps cherche les fils du silence dissimulés dans la braise marche saccadée manquent des images dans le paysage qui défile délavé par la vitesse au bâton de pluie dans le désaccord majeur des cercles sans nom tu égrènes ta litanie secrète dans l’oreille du feu et les passants passent sans même te jeter un regard.

Tu danses

Tu tournoies sans pouvoir t’arrêter dans la musique industrieuse qui martèle et frotte et pince prise de spasmes électriques au vent déjanté ricanant tu tapes du pied tu tapes du poing ça ne veut pas s’arrêter le sol chavire et le béton te tend les bras te tend les bras te tend les bras tu tournoies terre néante sources souterraines se jettent sur toi et l’eau noire tournoie autour de toi son sourd plus que clapotis cardiaque au souffle poussé expir dérangé chaque pas dans la fange des égouts sirène perdue sous les néons tunnel en poumon noir bras écarté dans la liturgie sidérurgique du temps ordinaire tu frappes avec la grâce écœurante d’un balancier.

Dans la ronde

Un fragment de miroir posé dans l’herbe du pré reflète un ciel en tessons tu fredonnes un air doux clapotis moelleux et douillet je pose dans la fraîcheur d’un été futur des pas de fourmi sur la ligne quiète du temps clair tu admires ton reflet dans la baignoire à pieds convertie en abreuvoir et tu ris toute une salle de bain transportée au dehors pour les bêtes qui paissent pleines de grâce la prairie tendre et suave pas de géant dans l’air clément et rose du soir qui patiente il attend son troupeau qui marche vers la nuit d’un pied paisible et le monde en tournant nous berce dans la tendresse de ses rivières avec tous ses autres enfants.