Quelque chose de moi s’est enfui. J’ai juste pris ma soirée me dit-elle. Mais quand tu t’en vas, le silence s’installe à ta place. Pas ce silence transparent, plein et vide à la fois, que j’invite volontiers chez moi. Qui peut m’habiter en même temps que toi. Non, une autre espèce, gluante, intruse, sans gêne. Qui noie les étincelles dans une pâte à beignet, qui repeint les murs d’une couleur floue et poisseuse, qui choisit de prendre ses quartiers dans mon front. Juste ici, vous voyez ? Comme si ma tête n’était pas assez lourde et mes souvenirs pas assez lointains. Reviens, je t’en conjure ! J’augmenterai tes gages, je t’accorderai plus de temps et plus d’attention. Je te laisserai des petits mots d’amour un peu partout, sur le miroir de la salle de bain, dans la boîte à thé, à côté de tes stylos bien rangés, dans tes chaussons, sur la porte du jardin. Je te laisserai vagabonder, et même pieds nus, si tu le veux. Je te laisserai jouer les funambules sur la corde à linge. Je te laisserai sauter dans les flaques d’eau. Reviens, reviens. Reviens.
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Rien aujourd’hui
Muette ce soir. Ou trop pressée. Ou distraite. Ou fatiguée. Allons nous glisser sous les draps glacés. En attendant.
Je laisse les mots s’enfanter
Je laisse les mots s’enfanter presque seuls, avec l’intervention parfois minimale de la rature, d’une reprise d’un rythme un peu maladroit ou d’une multiplication toujours retenue d’une phrase après l’autre. Je ne sais si cette écriture quotidienne me contraint ou me libère ou les deux ensemble, pensée naïve de qui refuse de réfléchir de manière littéraire.
Ce que je vois, c’est que, tout en restant enfermée (c’est comme cela que je le perçois) dans une forme, j’avance en moi-même, mon écriture s’affermit et l’émotion rayonne d’une vibration différente. Je regarde, surprise, ces mots qui s’échappent, et je les regarde enfin avec la bienveillance qu’on doit aux enfants qui nous habitent.
Je ne sais si je dois « construire un projet littéraire ». Ou, les yeux fermés, laisser se construire ce qui sera peut-être un jour une œuvre, ou juste un ensemble de fragments épars et orphelins, privés de l’attention d’un auteur qui aurait créé un lien, un fil d’Ariane dans le labyrinthe d’une vie.
Mais qu’importe. J’ai retrouvé le plaisir d’écrire les mots qui me disent et vous parlent. Cultiver, jardiner, faire croître, voilà mon projet en ces jours nouveaux qui déclinent.
Vivement le départ
La fatigue m’emporte. Mon corps me porte encore. Courbe du dos enroulée en fœtus.
Architecture de cartons, instables gratte-ciels, cartons rebelles à moitié pleins à moitié vide.
Va et vient, paperasse, circulation accélérée. Faire le vide. Remplir, vider.
Relire de vieilles lettres et pleurer. Regarder l’avenir. Se redresser.
Vivement le départ. Dormir léger.
Fut Venise
17 août
Arrivée à Venise le 16 au matin. Il est difficile de reprendre contact avec la ville. Difficile de faire renaître la magie d’être présent, et offert à un lieu. De nouveau cet écran tendu devant mes yeux qui affadit et rend irréel le lieu, le transmue en image. Il me faudrait le toucher, sentir la pierre chaude ou mouillée, effleurer l’eau lente d’un canal.
En fait, je ne suis pas encore arrivée et arriverai-je ? Mes sens sont murés. J’ai trop longtemps perdu le contact. Cinq heures de marche n’y ont encore rien fait.
24 août
Je n’arriverai sans doute pas. Pas cette fois-ci. Je ne me sens pas à Venise. Je ne me sens nulle part. Je n’habite pas. Je ne m’habite pas. Je n’habite pas le monde.
25 août
San Angelo Raffaele
Je voudrais boire la solitude à me rompre l’âme. Aussi comme on dit rompu à un exercice. Un autre moyen de me retourner à nouveau vers moi ? Comment ne pas se dissoudre dans la pensée magique du corps — santé et gestes ?
C’est dans mes pas que je veux me fondre, dans les murs chauds, dans l’eau ambiguë du canal.
Comment ai-je pu à ce point me perdre, me perdre de vue ? Je me suis pourtant débattue si fort, pour rien ?
Et je suis là, sans lieu. Sans richesse d’âme. Comme une éponge lourde imbibée d’eau.
Campo S. Margarita
Je bois à toutes les fontaines.
Pourquoi tant de difficulté à me fondre, cette angoisse d’une osmose avec le monde extérieur ? Je ne veux pas me livrer et je reste enfermée en moi-même.
Et puis cette analyse me lasse. Je suis ici, et pas là-bas.
Liste
Aujourd’hui
Il est vain de chercher un sens à sa vie, à la Vie. La vie est là pour elle-même. Elle a commencé et s’éteindra, mais elle est aussi comme le temps et comme l’espace, elle n’a ni commencement, ni fin.
C’est si simple. Nous sommes partie d’un tout. Nous nous croyons séparés et pourtant nous sommes reliés. Nous avons juste perdu la faculté de percevoir l’infinie continuité entre chacun de nos atomes et tous les autres atomes.
Nous nous croyons seuls au milieu de nos semblables. Seuls face à nous-mêmes, séparés de nous. Seul en naissant, seul en mourant. Aveugle et sourd à cette lumière vibrante qui nous enveloppe et nous traverse, nous réchauffe et nous guérit, nous chuchote au creux du cœur une tendresse au-delà des mots.
Vivons la vie. Dormons, rions, croquons aux fruits exquis qu’une main invisible nous tend. Exerçons nos corps, marchons, nageons et grimpons, dans cet univers qui n’attend rien d’autre de nous que nous soyons enfin.
Si j’écrivais
Si j’écrivais, ce serait sur ma paralysie. Mais ma paralysie m’empêche d’écrire. Je parle de cette carapace intérieure qui se pétrifie au fil du temps. Belle excuse en vérité que de pointer du doigt la statue qui n’est autre que moi. Elle pense alors que pour raconter une histoire elle pourrait bien utiliser la troisième personne. Tant qu’à se mettre à distance, ce sera elle. Elle décida aussi de parler au passé. C’était une histoire qui se raconterait à l’imparfait, à l’imperfection. Au passé simple, simplifié.
Elle ouvrit la porte. C’est comme ça qu’elle imaginait le début d’une histoire. Un geste presque fondateur. Se lever, se diriger vers la porte, saisir la poignée, hésiter un bref instant, le cœur battant, comme au seuil d’une transformation, attendue et crainte.
Elle ouvrit la porte. Descendit les marches, parcourant la spirale des étages, comme un fœtus, tournant sur lui-même en sa mère pour naître à ce monde. Bien sûr, la lumière du soleil l’aveugla. Elle frissonna dans la fraîcheur du petit matin. Quoi de mieux que de sentir sa peau picotée par le froid pour se rappeler les frontières de son propre corps et sa propre présence charnelle, en dépit de tout, sa présence ici-bas. Au temps présent.
Elle fait un premier pas. Puis un autre. Avec la solennité authentique d’un rituel de purification. Elle voudrait se confondre avec ce personnage imaginaire qui ferme les yeux en prenant une grande respiration.
Elle posa un pied après l’autre sur le bitume, en faisant semblant de se laisser porter par le hasard.
Elle pouvait marcher sans fin et s’enfoncer dans l’inconnu, voyageuse sans bagages, libérée de tout, même d’elle-même. Légère comme la brume, poussée par la brise. Et l’histoire n’aurait pas d’autre fin que sa dissolution dans un monde où rien n’est séparé.
Elle pouvait rester ici, s’asseoir à la terrasse d’un café, devant la gare, et regarder passer les silhouettes laborieuses qui s’en échappent. Des silhouettes grises et noires sans plus d’épaisseur qu’une feuille de papier. L’une d’entre elle pendrait tout à coup de l’étoffe, un visage commencerait timidement à se dessiner, brouillé par la distance. Puis l’expression du visage se révèlerait, comme une vague lueur.
L’histoire elle-même pourrait-elle enfin commencer à se déployer? Le paysage restait désespérément vide. C’était comme si elle n’avait franchi aucune distance, marchant dans un décor qu’elle avait elle-même construit. La rencontre était-elle réellement possible dans un labyrinthe?
Elle referma la porte et recula dans l’ombre.
Mes cinq mots préférés
Tendresse
La tendresse, c’est l’amour tout en émotion et en sensation. Elle est chaleur et douceur, caresse de la main ou du regard, étreinte qui n’emprisonne pas son objet, sourire et détente du corps, expansion de l’esprit jusqu’à bercer le monde dans le balancement des jours.
Frugalité
La frugalité m’a toujours attirée comme un aimant, comme la promesse d’une vérité cachée. Je tends le bras vers elle pour la saisir comme un fruit dans l’arbre, que je peux effleurer du bout des doigts sans pouvoir l’atteindre.
Tourtille
C’est le nom d’un petite rue d’un vieux quartier populaire de Paris. Je ne saurais dire pourquoi, j’aime cette sonorité qui met un sourire sur mes lèvres : essayez vous verrez!
Liberté
Voilà l’un des mots les plus secrets qui soient et les plus fascinants! A-t-on assez d’une vie pour en percer le sens, le sens de l’existence? On la possède mais le plus souvent, on ne sait comment en jouir. Elle est là, juste là, mais elle se dérobe sans cesse. A moins que ce soit nous qui refusions de la voir.
Permaculture
Le mot-valise n’est pas beau, mais peut-être sauvera-t-il le monde?
Et vous, quels sont vos cinq mots préférés?
Dans le cercle
Je suis comme quelqu’un qui rêve de s’échapper d’une prison dont la porte est ouverte.
Une idée du bonheur
La lumière revient un peu chaque jour. Et comme une idée du bonheur affleure, crocus, primevères, jonquilles dans un printemps renaissant. Qu’il est bon de sentir que les nuées et les ombres retournent les unes après les autres dans leur demeure hivernale.
J’ai à nouveau envie d’apprendre à prendre soin de moi et retrouver l’appétit d’une vie. Eclore. Ouvrir les yeux. En profiter tant que cela dure. Me fortifier et m’assouplir. Respirer.

Je
Je pourrais vous dire que je n’ai pas le temps. Mais j’aurais l’impression de vous mentir. Vous penseriez que je suis très occupée. Que ma vie est remplie de toutes ces petites choses qui remplissent une vie. Or ce n’est pas ma vie, c’est ma tête qui est encombrée.
Je ne manque pas de temps. Je manque d’espace. Et le temps a besoin d’espace. Comme on a besoin d’air pour respirer. Il ne reste plus d’espace que pour un JE amputé qui cherche son reflet dans les morceaux d’un miroir brisé. Mille petits morceaux de moi. Un puzzle, un rébus, des lettres éparpillées qui cherchent leurs mots et des mots qui cherchent leur sens.
Un je mansardé qui envoie des signaux de fumée par la lucarne. Nuages de pensées fragmentées dans un ciel, rideau sans accroc par lequel s’échapper. Un je évasif, invasif, transparent et fragile comme le verre. Assoiffé, affamé, se nourrissant de lui-même jusqu’à disparaître.
Je pourrais vous dire que je n’ai pas le temps. J’ai trop à faire à repousser les murs de ma prison. A chacun ses loisirs du week end.
Bloguer ou ne pas…
Depuis que je tiens ce blog, c’est-à-dire pas très longtemps, je me demande régulièrement si vraiment je devrais continuer. Est-ce une forme d’expression qui me convient? Comme à mon habitude, je n’arrive pas à vivre la chose avec légèreté. Non pas qu’il s’agisse d’une activité (forcément) frivole, mais je m’y investis émotionnellement à l’excès, et par conséquent, le plaisir d’écrire et de simplement partager n’est pas toujours au rendez-vous. Quand certains arrivent à vaincre leur timidité par le truchement de leur blog et se laissent aller à se montrer sans crainte, moi, je n’y arrive pas. Je ressens ici les mêmes blocages que dans la vraie vie, la même peur de passer inaperçue derrière ma réserve, la même difficulté à aller vers les autres pour créer des liens.
Etrangement, j’ai la nostalgie de ce carnet que j’ai tenu quelques mois, avant celui-ci. J’y avais moins l’attente d’être lue, je lançais mes mots comme des bouteilles à la mer. Je n’avais à ma connaissance que quatre lectrices, mais leur fidélité et leur amitié me touchaient plus que tout.
Pourtant j’ai envie de persévérer, ici, dans mon nouveau chez moi. Mais quelques changements s’imposent. Premièrement, je vais reprendre mon ancien pseudo, Sérénissime. Même si la sérénité n’est pas exactement ce qui me caractérise, je m’y reconnais plus, tout simplement. C’est Venise qui me l’a inspiré, et Gracq et son Rivage des Syrtes, deux lieux dans lesquels je me sens bien, qui appartiennent à la trame de mon histoire. En revanche, Apprentie -même si cela évoque en quelque sorte une réalité quotidienne, celle d’apprentissages toujours renouvelés, encore et encore- ce n’est pas moi, il y a quelque chose dans la sonorité qui ne chante pas en moi. Alors exit, Apprentie, je « retourne vers moi » et les prochains articles seront écrits par Sérénissime.
L’autre changement que je voudrais mettre en oeuvre concerne les catégories de ce blog. J’ai du mal avec cette notion. D’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles j’avais opté pour WordPress était cette possibilité de ranger un article sous plusieurs catégories. Je préfère de loin le système des mots-clés, dont j’use et abuse avec gourmandise. Supprimer les catégories? Mes articles ne peuvent prétendre à l’unité de ton ou de style d’une certaine porte ouverte par exemple. Et ni à venir se ranger sagement dans des tiroirs prédestinés par moi-même. Sans doute est-ce le chaos dans mon esprit, comme l’expression d’un refus. Un refus dans lequel je me reconnais tout entière pour le coup!
Alors le chantier est ouvert. D’ailleurs si vous avez des suggestions, je suis tout ouïe.