Plonge

Plonge dans tes larmes
Orbe dansant des pluies délaissées

Cours sur tes traces

Tu fais naître dans la fragile parure des lueurs toutes les petites choses qui germent sous tes pieds fertiles

J’ai pris

Encore la courbe des jours sur les marches qui conduisent à ta maison déclinante j’ai pris
et j’ai trouvé dans le silence d’une virgule les arbres en mots de poussière

On pourrait parler des âmes contenues dans le pincement de ton pouce et ton index sous la grenaille des prairies gelées

Mais tu préfères tracer la ligne de toutes les flottaisons dans le dos des merles en vadrouille et j’ai compris

Le visage de cette larme et son reflet pâle dans les nuits d’hiver où je voulais tout diluer tout délaver

Tout recommencer

Brèche en toi refermée

Brèche en toi refermée
Saigne blanc sur la pierre
recousue entrailles

Tu te creuses
au mur toi
à la petite cuillère

Soupire aux vents
des nuits plates
un filet de lueur

Une galerie
Proie tu es
Qu’on enfume

Danse sous les barbelés
De ta conscience
Tatouée

Bête traquée
Comme au temps
Tous les temps

Au sol plaqué
Muet se déchire
En toi la brèche

N’endigue plus
Le flot des sels
Brûlant tes coupures

Mieux vaut filtrer
Lueur intestine
Du corps lambeaux

Tu quittes et lâches
Infiniment recommencé
Le fil rompu

En forêt

Et tu trembles de tous les muscles de tes cuisses
Obstiné dans la posture de l’arbre tu glisses

Garde le rythme danse en cœur foule la joie
En glaise déçue obstiné tu frottes la corde

En criant de la terre nue plein la bouche
Ô souffle qui te vide jusqu’au talon

Et broie ta cage thoracique pourrait
Tordre les barreaux qui te transpercent

En volutes échappées crissantes
Dans un coin où tu craches perdu

Forêt en traces de biche tu suis
Dans l’ombre verticale en toi tes tripes

Perdu toc toc des pics
Tous arbres se ressemblent

Et tu trembles et tu tintinnabules
Creuses aux tympans un choc en retour

Pas de clairière pas de lumière
Sous feuilles brunes poussent ronces

Aux épines t’agrippent aux empreintes
Restes obstinément à la lisière

Désordre

j’ai l’amertume en errance
bleuie par le froid des écorces

j’ouvre encore les lueurs des nuits pleines
en marchant dans les prières des herbes folles

le chemin pourrait m’avoir oubliée
rencontre écourtée par le vent des fuyants

oui la mère nuit tombe en un dais de palmes
une braise dans le creux de sa main de nacre

et la clé des partances germe dans le milieu
d’une échelle de Jacob convertie en pylône

stylite sur la ligne blanche aux yeux luisants
qui se couchera sur la bande d’arrêt d’urgence

l’esprit décroché volet battant sous l’empire
d’un grain qui veille corpuscule trop proche

je me fourvoie dans l’étroitesse des chemins
crépusculaires mots lourds accumulés en tumulus

j’ai reconnu le désordre de mes traces
et j’ai forcé le trait de ma fuite

Derrière le mur

Tu te laisseras partir plus rien d’autre à faire aller ailleurs éprouver ta nausée traverser ton désert épancher les mirages
Tu marcheras jusqu’à la porte entrouverte au milieu de nulle part pas besoin de frapper juste franchir le seuil de l’attente
Tu le sais
derrière le mur
il n’y a rien

Mille ans

Je pourrais me recueillir mille ans
devant la muraille des déserts

tour à tour émue dans l’ombre
contre l’âme des instruments de votre torture

tour à tour sœur de l’arbre debout
déporté vers les levants

Je pourrais marcher sur le fil
ardent du rasoir vos chevelures

endormir vos tourmentes
d’arbres au cœur craintif

jouer pour vous la musique de l’aube
ou le psaume de la mémoire des cours d’eau

Je pourrais disparaître un instant
ou mille ans dans la fente du seuil

m’élever dans la profondeur lente
des vies épuisées au bord des lèvres

sans la parole qui vous guérirait
poussières dispersées par le vent

Je vous vois encore à travers la muraille
vous étiez le troupeau dont j’étais le gardien

L’ombre de mes arbres
dans les ruines du silence

Dans l’oubli des voix

demeure une douleur
accompagnée par les voix
les figures d’un souvenir
les voix
de plus en plus nombreuses

les voix d’une vie
dans le détachement des corps
des lumières en pointillés
voie lactée jaune dans la nuit des villes

demeure une douleur
et je te vois
si loin
ce rocher dans le fleuve de la foule des trottoirs
transpercé par la rumeur incessante
délaissée par les voix

oublié le chant
oublié le souffle
dans le sommeil tourmenté et mouvant
d’une houle noire qui te tend les bras d’une mère
et te berce dans l’ombre douce de ses gouffres

pietà du fond des eaux
dans le sommeil des voix
demeure une douleur

Plexus

Une litanie a posé sa voix sur le rebord de la fenêtre

La lumière penchée éclabousse sagement ce qui dans le monde fait masse
là où l’espace entre les choses se resserre au point de former des objets
vivants ou morts
un relief dans la platitude des jours ambulants

Car justement
je marche dans un rêve
je marche assise devant un bureau
elle m’écoute déployer comme un roman mes différends administratifs
je n’arrive pas à la quitter je la suis je lui parle encore

Dans la litanie de tous les noms il y a le sien qui m’écoute depuis toujours

Ces lettres envoyées sous la chape du désert qui n’eurent jamais de réponse
ces formulaires ces attestations ces arrêtés ces certificats
deviendront les lettres écrites sur le front
qu’on ne pointera plus jamais du doigt

La lumière est aveugle pourtant qui enfante la forme et la couleur des choses
et nous nourrit avant de s’enfouir au centre des terres que nous sommes

Je marche dans cette ville inconnue que j’ai rêvée collage de cartes postales
sur les vitres d’un bus qui a fondu sur moi comme une gangue de stupeur qui ne respire plus

Demeure
Une brûlure solaire dans le plexus

Géologie de l’âme et du corps

1.
Tu pourrais être debout
face au mur

Ton regard fixe
pourrait créer la brèche

À l’usure

Être là
Pierre levée
ou
Coquelicot
Être là

Jusqu’à l’usure
Jusqu’à la brèche

2.
Tu voudrais être
les eaux du fleuve
qui enflent

Les eaux du fleuve
qui débordent

les murs

les murs les digues
les brise-lames
de toutes les eaux du monde

Tu voudrais te répandre
par dessus les bords
qui te contiennent

t’épancher dans les anfractuosités
des esprits sinueux

dans le creux des vallées

Tu voudrais saper les fondations
de leurs murs ceux que tu lèches
de tes vagues sourdes
et inconscientes d’elles-mêmes

t’infiltrer t’immiscer
dans leurs fissures

créer une voie d’eau
dans leurs certitudes

entrebâiller la brèche

Morsure

Tu étais entré et tu avais rempli la pièce
de crachin et de brume
une goutte d’encre dans un verre d’eau

Tu étais cet inconnu au visage familier
qui sait déjà les fêlures intimes

Marche au vent marche dans la blessure du temps
hérissé de tessons et de clous
Marche encore
vite
cours

je m’éteins dans l’arabesque des aubes chancelantes
épuisée vidée du sang de l’ombre

Tu étais celui qui tenait des propos incohérents
Ou étais-ce moi au seuil de la brume en corps confus
De quelle morsure parles-tu ?

Tu avais pris possession des lieux incertains de ma vie
et posé ce voile devant mes yeux
transfusé dans mes veines la cage de l’indifférence
tu m’avais coupé de tout à commencer de toi

j’entends ce cri qui s’échappe de ma bouche
des files d’insectes noirs montent le long de mes jambes
dans le crépitement des secondes des secondes
des secondes qui perforent l’attente en miroir brisé

Tu avais vidé mes tiroirs et mes armoires
renversé les objets et les meubles
déposé partout la poussière de tes gestes
rempli même tous les interstices de ma vie

Je t’ai regardé faire
avec mon âme bâillonnée
dans le corps défait
de quelqu’un d’autre

Torrent (à l’intérieur)

Tu te recroquevilles dans des gestes mécaniques
étrangère à tes propres mots
qui traversent la densité de l’air en flèches silencieuses

je me déploie avec une soudaine lenteur dans la chute du torrent sans cesse recommencée
boucle infinie des voix de l’eau fureur ralentie
ce plongeon bras en croix dans la douceur indicible du courant bouillonnant

sans fin tu t’échappes dans la main de Coriolis
dans le cyclone tu t’élèves et tu t’inclines
dispersée dans l’eau pulvérisée des voix alcalines

j’oublie qui je suis
étrangère ne jamais dire jamais
séparée errante

dans ma fissure béante tu t’infiltres
sable dans la plaie tu as saisi mon sang au poignet
dans l’ombre saccagée des rois muets

nulle empreinte laissée dans l’eau du torrent
mon corps gronde à travers toi
recroquevillée je dissimule mes mots au ventre tatoué

Le mur

Soutenue par l’arc-boutant hors de moi les traces

Un mur

Où s’affronter à la pierre
pierre des mots sculptés et je me ferai
bas-relief

Et toi je vois ta course ta fuite dans la nuit ponce
qui te fera poussière et chutes et scories

nourriture pour les monstres de pierre
hors de moi les traces

de toi
derrière le mur

et le torrent de tes mots pierres ne m’atteint plus

dos au mur
je n’entends plus tes cris
crissements insoutenables

Délivrée
j’enfanterai une trace nouvelle
dans la solitude

de l’au-delà du mur
né de sa brèche

Je regarde passer…

Je regarde passer les silhouettes miroitantes des flammes

leurs voix
résonnent
sous
les voûtes
d’ocre clair

Et assise sur un banc de pierre
je me sens soudain
prise dans l’axe polaire
la lente mise en branle
de la terre autour

Je fixe à mon front l’étoile de tous les nords
qui me traversent

Le cortège passe dans le silence des roses
et dans l’ombre d’un beffroi
je les vois qui rayonnent
sans questions

Tandis qu’à mon front une chose inconnue se consume
j’esquisse un geste
d’une main
blanche
dans le froid

Les silhouettes s’éloignent
avalées par la béance qui se dessine dans le lointain
et le rideau des jours à peine embrassé est retombé sur le vide

envoûté
de mon esprit
revenu au point de départ
des questions sans réponse

Une rencontre au coin du ciel

Tu es apparu et je t’ai aperçu du coin de l’œil
Mais dans le filet de l’ombre et de la lumière je n’aurais pu dire si tu étais l’ombre ou la lumière
Et puis j’ai su que tu avais bougé à ce frémissement soudain de la rosée
Mais je n’ai jamais pu savoir si tu étais dans le réseau des branches nues ou dans les morceaux découpés du ciel
J’ai ouvert toutes les portes du couloir pour suivre tes mouvements fugaces
Mais quand je croyais te saisir je ne tenais plus entre mes doigts que le fil dévidé infiniment d’un accroc dans ton ombre
Tu étais peut-être l’ombre
Ou peut-être la lumière

Quand tu es apparu toute la rumeur du monde s’est tue
absorbée par ta présence
Mais je ne te voyais pas
Peut-être t’étais-tu dissimulé dans l’épaisseur dorée des grains de lumière en suspension
Peut-être que tu étais l’air devenu liquide
Ou l’eau de chacune des gouttes de la pluie
qui tombe dans le bassin où tu venais t’abreuver
Tu me faisais des signes
Mais je ne les comprenais pas

À chacun de tes pas poussaient en un instant sous tes pieds des fleurs sauvages
écloses puis aussitôt fanées
vibrantes dans l’éclat discret de leurs couleurs
embaumant l’air immobile
puis soudain mourantes et mortes
Car tu étais sans nul doute le germe et la vie
la brûlure du temps l’extinction et la mort
Tu n’étais peut-être pas la vie
Peut-être pas la mort
Peut-être étais-tu le passage
la fleur et l’humus
l’arbre et le nuage

La porte s’ouvrait dans un grincement et je savais que tu étais là
Il y avait eu cet éclair infime accroché au coin de mon œil
Et cette résorption des bruits intimes de la maison
Tu étais peut-être ce silence
Tu étais peut-être la maison

Tu me parlais sans paroles
Caché dans l’ombre glissante de mon fauteuil
Ou tout à coup suspendu à l’ampoule au plafond
Je le savais car les feuilles découpées du lierre avaient frémi sous tes bonds légers
Tu me parlais cette langue inconnue
Mais tout ce que je percevais c’était un chuintement subtil près de l’oreille
Ou le vrombissement lointain d’une abeille

Et puis un jour tu n’es plus venu
Je t’ai cherché dans la palpitation douce de l’ombre et de la lumière
Dans le regard pas encore éteint de la vieille dame dans le jardin
Je t’ai cherché à la tombée du soir derrière les premières étoiles
J’ai cherché le silence que tu étais
J’ai couru à en perdre haleine
Ton absence était aussi palpable que ta présence était insaisissable
Je me suis couchée sur la mousse au bord de l’eau
Et j’ai tiré sur moi la couverture et le drap
Et j’y ai lu soudain l’adieu que tu y avais brodé
au fil des jours

Quand la lune sonne brume

quand la lune sonne brume
tu es l’ombre au jour
qui nomme le lent surgissement
de ta face éclipsée

tu te tiens devant moi
à la distance respectueuse
d’un souffle comme
une caresse de la nuit

tu as couvert ma nudité
de ton manteau
et ses effluves d’humus
m’ont donné la fièvre

je bats à mon cœur tambour
dans le silence absolu des déserts
toi et moi tendus l’un vers l’autre
nos regards s’embrassent

et sous nos pieds germent soudain
tous les sommeils qui s’éteignent
naissent croissent et meurent
en une seconde qui toujours existe

à travers l’épaisseur du silence
que m’effleure le visage de tes doigts
et foudroyée je serai
rendue à mon corps vivant

dans les ombres du temps
ce temps adagio qui vient