Je reviens

Proposition n°1

Je reviens

Le métro s’est arrêté à République. Ce n’était pas sa station, mais sur une impulsion elle est descendue. C’était le soleil ou l’automne. Platanes, feuilles découpées brun terne, akènes en boules velues sur les trottoirs. Le square du Temple, là-bas, ou la rue Notre-Dame-de-Nazareth ? L’hésitation l’emporte sur l’impulsion. Elle pourrait rester figée indéfiniment sur le trottoir, avancer en regardant ses pieds. Ne pas marcher sur les lignes de démarcation des pavés. La porte de l’immeuble était vert sombre dans ses souvenirs. Aujourd’hui elle ne saurait en appréhender la couleur, passée, bleu, vert, noir. Toujours dans ses vantaux deux fenêtres ornées de croisillons, et l’arc au-dessus comme une demi-roue avec ses rayons.

Pour : l’atelier d’été | construire une ville avec des mots http://www.tierslivre.net/revue/spip.php?article210

Ton nom, par Florence Noël

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(Photo : Florence Noël)

rien n’imprime rien
sur ma paume corrodée
sinon ton nom

je ne te cherche plus
-assez dit l’heure assez –
je ne cherche qu’en lèvres
en glacis de salive
bandées pour l’aube et son parfum de
chute

toi
magnifique élancement des mondes
que mon corset englobe
respiration d’un faune
dans le phrasé d’un phare
tu es cette petite lacune de ma fièvre
mon peu de mort
reçu sans égard

moi
que j’ai vu mourir bercée de feu
trempés à des tempes
mes doigts luire de douceur
avant d’effriter leur caresse
comme on s’ébroue d’un rêve

j’avoue

je ne te cherche plus
pentagramme écrié
quand ma bouche s’éride
dans la déchirure des mouchoirs

à quels signes de mon visage
renoueras-tu l’ombre à
mon nom
– similitude de nos nudités –

l’églantine s’allège de quelques épines
à ma cheville
sa joie d’être trouvée
est
ce que tu m’es pour nom

Florence Noël

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Et pour lire mon texte sur les pages de Panta Rei, c’est ici.
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Les autres participants aux Vases communicants de mai 2010:

France Burghelle Rey et Morgan Riet
Anthony Poiraudeau et Loran Bart
Anna de Sandre et Francesco Pittau
Mathilde Roux et Anne-Charlotte Chéron
Michèle Dujardin et Daniel Bourrion
Jean Prod’hom et Arnaud Maïsetti
Christophe Sanchez et le coucou
Antonio A.Casili et Gaby David (english)
Michel Brosseau et Christine Jeanney
Matthieu Duperrex et Pierre Ménard
Joachim Séné et Franck Garot
tiers livre et kill me Sarah
Juliette Mezenc et Ruelles
Cécile Portier et Luc Lamy
Chez Jeanne et MatRo7i
Landry Jutier et notes&parses
Ana jardin sauvage et Piero Cohen-Hadria
Florence Noël et Juliette Zara
Arnaud Maïsetti et Jean Prod’hom
Marianne Jaeglé (Décablog) et Brigetoun (Paumée)

Hameau, par Jean Prod’hom

Le soleil levé avant l’aube essore le ventre gras de la compostière, Corentin est au bois. À Pra Massin les fenêtres sont grand ouvertes, c’est le printemps, la grande affaire.
Personne dans la maison, les rideaux font le dos rond, caressent en retombant la tablette de la fenêtre, un signe de la main, c’est le cru de la cave qui monte prendre l’air. Mais on respire là-dedans, les braises rougeoient et on devine, enveloppés d’ombres, la veste de Corentin, le linge à mains près de la cheminée, un semainier, l’évier de porcelaine ébréché. La nappe sur la vieille table en bois, quelques fruits, un marron et un gland, des clous sortis du fond des poches. Personne pourtant, les rideaux faseyent, c’est le monde immobile qui appareille.
Dehors, c’est comme dans les livres, mais la terre a le ventre mou, les crocus et les nivéoles sont détrempés. Les mésanges bataillent, les pierres sonnent creux, le ruisseau sort de son lit.
Repousser les mots, ne pas prolonger pour l’instant une intrigue qui n’a pas commencé. Il sera assez tôt lorsque le soleil déclinera d’effeuiller les images, décoller morceau par morceau les lambeaux des récits qui tiennent debout nos vies. Quelques mots devraient suffire à la fin, lorsque l’ombre se sera dérobée, lorsqu’on verra s’éloigner les nuages et le vent, et le dedans aller dehors.
Deux ou trois choses laissées là pour rappeler la légende de mars, comme s’il y eût quelqu’un autrefois, mêlé aujourd’hui aux ombres des noyers sur la pente qui mène au ciel. Avec derrière une autre maison, les volets fermés, dedans une vieille qui a tout laissé dehors, comme si elle allait y retourner.
Mais lorsqu’on lève les yeux pour reprendre à la ligne, plus bas, les yeux n’obéissent plus. Est-ce ainsi ? est-ce bien ainsi ?

Jean Prod’hom

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Les autres participants aux Vases communicantes d’avril:
Kouki Rossi et Luc Lamy
Pendant le week-end et Ruelles
Jean Prod’hom et Juliette Zara
Marianne Jaeglé et Anthony Poiraudeau
Cécile Portier et Loran Bart
Christophe Sanchez et Murièle Laborde Modély
Christine Jeanney et Kathie Durand
Sarah Cillaire et Anne Colongues
France Burguelle Rey et Eric Dubois
Fleur de bitume et chez Jeanne
Mathilde Rossetti et Lambert Savigneux
Antonio A. Casilli et David Pontille
RV.Jeanney et Jean-Yves Fick
Brigitte Giraud et Dominique Hasselmann
Guillaume Vissac et Juliette Mezenc
Michel Brosseau et Arnaud Maïsetti
Florence Noël et Brigitte Célérier
François Bon et Laurent Margantin
Michèle Dujardin et Olivier Guéry

Souffle, par Kouki Rossi

Souffle

Jour morne pesanteur
sans yeux qui regardent
sans bouches qui parlent
sans demandes
Seule il le faut

Déjà étouffée par les peuples fantômes
L’haleine garrottée parmi leur foule sombre
Elle va
Lasse du ressac du babil commun punie des autres privée de soi
En vrac

Dehors des mains géantes balancent des branches aux bourrasques enfiévrées
Elle
fichée dans le chambranle jalouse du tumulte des airs
se met en marche aussi

La turbine la plie la cambre puis la rend aux falaises
décalquées au plomb du ciel

Parée de solitudes figée à l’aplomb bras écartés sans public
elle tangue comme une algue
Héroïque innocente

Comme craignant pour elle
le souffle fou la mer et le vide
Se taisent

Son souffle à elle remonte des cavités en un cri
S’arrache d’outre vie
et l’iode vient creuser les fosses
Encore plus loin

Un chant pâle a maintenant pénétré qui lui lèche le dedans des tempes
Cloches sourdes en volées lentes
le bourdon du monde tamponne à ses côtes
Les stances retentissent en rangs de perles
Fluides

Dans le calme refait
elle distingue les voix collégiales des poètes frères
Elles s’égrènent et respirent avec elle
sauvée
Sur les cordes du ciel
apaisé

Kouki Rossi
http://koukistories.blogspot.com/

***
Et le chemin vers mon texte hébergé par Kouki : http://koukistories.blogspot.com/2010/03/les-vases-communiquants.html
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Tous les participants aux vases communicants du mois de mars 2010:
Mariane Jaeglé et Gilles Bertin

Eric Dubois et Patricia Laranco

lignes électriques et chroniques d’une avatar

Christophe Sanchez et Yzabel

Luc Lamy et Anna de Sandre

futiles et graves et Kill that Marquise

Christine Jeanney et Arnaud Maïsetti de contretemps

Michel Brosseau et Juliette Mezenc

Frédérique Martin et Denis Sigur

Pierre Ménard et Anne Savelli

Juliette Zara et Kouki Rossi

Nathanaël Gobenceaux et Jean Prod’hom

Florence Noël et Lambert Savigneux

Hublots et Petite racine

Pendant le week-end et quelque(s) chose(s)

François Bon et commettre

RV.Jeanney et Paumée

et puis Anita Navarrete Berbel le jardin sauvage reçoit Anna Angeles sur son autre blog effacements

(Merci à Brigitte Célérier pour le recensement)

Un mur trois quarts, par Luc Lamy

armée

-El’chef Laumann…/… Jodoigne…/… à Peutie…/… un mur trois quarts…/… camionnettes vé-oué…/… douze véhicules…/… règlements…/… tout par cœur…/… Importance de l’information.
Dans ce bureau exigu
affublé du plus Tartuffe des deux…
Celui-ci soliloquait,
ressassant toujours les mêmes histoires
Leurs histoires au chef et à lui dans une autre caserne
du temps de Peutie,
quinze cents mots de vocabulaire,
forcément la syntaxe à ce prix-là,
laisse à désirer…
L’autre est en congé aujourd’hui,
(deux mille mots que je l’appelle )
il marie sa fille,
et en plus ça se reproduit ces trucs !
je lis “le voyage au bout de la nuit”
sous le bureau,
m’enfonçant davantage dans la grande muette,
faisant semblant de l’écouter en bon chien d’arrêt,
puis je brise le silence (c’est intelligent et susceptible malgré tout ces animaux-là,
faut pas les avoir à dos ! )
-Chef?
-Oui Marc?
-quand le chef n’est pas là
… Qu’il est malade ou qu’il marie sa fille,
c’est vous le chef alors?
-Oui Marc.
Content de ma petite diversion je me replonge dans Bardamu
en miroir du bouquin j’ai l’un des deux tarés devant moi
… Faire comme si j’étais plus bête qu’eux, que lui.
Y a du travail…
Des films de guerrr’ à rattraper,
une culture radio à revoir,
un univers de petites mesquineries à mettre au point pour détourner le minotaure,
des blagues de blondes et des troisièmes mi-temps de foot.
On apprend vite à être lâche et veule avec les petits caporaux… Chefs,
quand on est troufion
– Marc?
– Oui chef?
– à midi, quand t’iras à la cantine… t’iras brûler ce dossier ”top secret”
– Oui chef.
-… Et attention à ne pas le lire, hein ?!
– Ben non chef.
(silence)
– tu veux quand même voir ce qu’il y a d’dans ?
(re-silence)
– ben non vous venez de me dire que c’était top secret
– Allez! viens le lire, regarde (il ouvre la chemise)
je jette un œil circonspect mais néanmoins suffisamment appuyé pour qu’il croit que ça m’intéresse au plus haut point: rien d’intéressant, des chiffres, des lettres, des références…
– t’as vu ?
-Quoi ?
-On ne comprend rien…
-Ben oui.
– C’est codé! y a pas de danger !
(il remet tout dans le classeur et claque l’élastique avec un petit air important).
… Etc.
Zangra sans bataille, il pose le dossier où la fin du monde est inscrite en langage codé à côté de mes petits tampons et cachets
Mais chef…
-il n’y a pas de « mais », on est au mois de Janvier…
Et pas au mois de Mai
çà aussi c’était une pierre angulaire de son esprit qui le propulsait dans les hautes sphères…
Le cerveau au point mort, le plexiglas terne dans le regard,
sûr de son effet il tétait distraitement une mouche invisible…
Sa bouche de grenouille achevait l’illusion.
Sûr de son savoir et de ses choix…
trop jeune pour faire la seconde der des der,
il aurait battu en retraite à la troisième…
La retraite ? il comptait les jours…
Petite victoire sur le terne calendrier de sa guerre personnelle
armée2
(Caporal-chef “Quinze cents mots” , ‘81 ).


Une superbe petite VCF (volontaire féminine de carrière)
chauffeur du colonel,
entra en trombe dans le bureau pour sa feuille de route,
suivie de près par un autre caporal toutes gourmettes dehors,
Raybans de pilote, talons ferrés …
Une vraie caricature celui-là, et méchant avec ça:
l’a fait les faits divers plus tard …
Filmé par Manu, dans “les amants d’assises” il n’en menait plus aussi large sur le banc des accusés… Braquemart en berne.
Pathétique et défait ils avaient, sa maîtresse et lui, estourbi à coup de revolver de service,
le mari de la dame.
Pas bien çà !
Alors? On a arrosé le cresson hier soir ?
demanda l’autre…
Leur posant la question à tous les deux…
A votre avis ? fit ce crétin de “braquemart hissé ho”
Et l’autre de continuer de téter son diptère…
Rêveur et salace, il se perdait dans le bouton à moitié défait de la VCF,
à coup sûr il bandait l’imbécile avec ce qui lui restait de limace dans le froc.

armée3
(Sergent-chef “Deux mille mots” , ‘81 ).

Qu’ils étaient drôles mes chefs !

Luc Lamy
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Mon texte chez Luc c’est par ici.
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Liste des participants aux Vases communicants de février :
Aedificavit et Tentatives
Futiles et graves et Juliette Mezenc
à chat perché et Hervé Jeanney
Lieux et Arnaud Maïsetti
L’employée aux écritures et Hublots
Le blog à Luc et Enfantissages
Koukistories et Biffures chroniques
Soubresauts et Kafka transports
Pendant le week-end et Kill that marquise
Le Tiers livre et Fragments, chutes et conséquences
Scriptopolis et CultEnews
Liminaire et Litote en tête
Les lignes du monde et Abadôn
Pantareï et Éric Dubois
Les marges et Paumée
Lignes de Vie et Epamin’

De la fenêtre de ma cuisine, par Christine Jeanney

De la fenêtre de ma cuisine,

j’aperçois d’autres cuisines qui donnent sur la cour. Parfois le soir, à une fenêtre d’en face, j’aperçois quelques bougies qui brillent, seules, dans la pénombre, ou ce ne sont pas ces lumières simples, allumées par des mains de femmes, mais une lueur bleue qui s’est construite seule et ne tremble pas, une lumière autre, froide, pourquoi pas.

Elle sort de la vitre, cinglante et belle, une déesse de gel qui aurait soufflé sur le verre pendant que nous avions le dos tourné, nous n’avons pas vu ses bras fins, ni entendu le claquement de doigts qu’elle a lorsqu’elle avance, on dit que ses cheveux bougent sous le givre, on dit qu’elle parle, sa voix est tranchante comme du sel, J’ai laissé les mondes se répandre sur la page où ils ont puisé à la source je n’ai plus été soudain qu’une barque descendant les rapides j’ai laissé couler de ma bouche des flots de mots des flots de mots dans les rapides, puis elle se tait.

Elle passe de fenêtres en fenêtres, les femmes ne l’ont pas vue, mais les enfants peut-être (à moins qu’ils ne sachent pas pour cette lueur bleue, qu’ils préfèrent les bougies, le jaune et le rouge rutilant, les paillettes, et toutes ces choses petites qui pétillent).

Derrière d’autres fenêtres, d’autres vitres, d’autres voix parlent, les mots se chevauchent, des cris, des bruits, le frottement des crayons sur le papier, le flot de la source suivie par d’autres, les cuillères dans les saladiers, les mots qui lient, Je vais me doucher, Tu as faim ? Il faudra téléphoner, J’ai préparé les papiers, Ce soir ? Je ne sais pas, Raconte-moi la fois où, Je l’ai vu ce matin, Il n’y a qu’à attendre, Avant tout, je dois aller… Les voix se mélangent avec les bruits, il n’y aurait qu’à fermer les yeux, on pourrait entendre le bruit du monde, on se moquerait un peu de soi, « le bruit du monde », quelle expression cent fois usée, licence poétique un peu simple, un peu naïve, « le bruit du monde », il n’y aurait pourtant pas d’autre façon de dire, le bruit du petit monde derrière les fenêtres, débarrassé des pleurs. N’entendre que le bon, trier ce qui résonne, on croit tout entendre, être ouvert, attentif, on ignore que le filtre fonctionne automatiquement, qu’on ne veut que le bon, que le sens, que ce qui fait sens, que ce qui sert l’illusion du sens. On est même prêt à inventer les bruits derrière les fenêtres, prêt à inventer les fenêtres aussi, et cette déesse qui n’existe pas. Lorsqu’elle se rend compte du leurre, elle se fait plus petite, elle dit

Un jour ces ruines

Usées par le ressac

Ne seront plus que courbes, elle souffle sur ses doigts, disparaît, point minuscule, inaccessible, enfui, bientôt perdu dans l’angle lumineux de la fenêtre de ma cuisine.

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*
Christine Jeanney
C’est avec un très grand plaisir que j’ai cédé ma place à Christine ici et que j’ai pris la sienne sur Tentatives.

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Les participants aux vases communicants de janvier 2010 :
Futiles et graves (Anthony Poiraudeau) et Paumée (Brigitte Célérier), Tiers Livre (François Bon) et Ce métier de dormir (Marc Pautrel), Petite Racine (Cécile Portier) et Abadôn (Michèle Dujardin), Tentatives (Christine Jeanney) et Enfantissages (Juliette Zara), Elle-c-dit et Fut-il ou versa t’il dans la facilité ? (Christophe Sanchez), C’était demain (Dominique Boudou) et Biffures chroniques (Anna de Sandre), Terres… (Daniel Bourrion) et Journal Contretemps (Arnaud Maïsetti), Le blog à Luc (Luc Lamy) et Frédérique Martin, Liminaire (Pierre Ménard) et Jours ouvrables (Jean Prod’hom), Pendant le weekend (Hélène Clémente) et Oreille culinaire (Isabelle Rozenbaum), Les beautés de Montréal (Pierre Chantelois) et L’Oeil ne se voit pas lui-même (Hervé Jeanney), L’arbre à Palabres (Zoë Lucider) et Mo(t)saïques (JEA)

[Vases] Ma famille en marche [communicants]

«(…) pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites (…)».

François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée des Vases Communicants.

Aujourd’hui Lignes de vie et Enfantissages s’invitent réciproquement.

***

Ma famille en marche

Sur cette photo,
ce sont mes deux grands-mères,
elles marchent ensemble bras dessus bras dessous,
c’est un jour de fête de famille,
elles vont à la salle des fêtes,
discutant.

Ma grand-mère paternelle a une canne, elle marche avec difficulté et elle ne sourit pas. Mon autre grand-mère a une tête de moins mais elle marchera encore une quinzaine d’années. Elle a tout le bonheur du monde sur son visage. Leurs maris, mes grands-pères, sont morts depuis quelques années.

Ce serait bien de les revoir toutes deux ensemble, marchant côte à côte un jour d’été, elles qui ne sont plus là depuis un bon moment.
Quelle chance d’avoir ce carré de photo pris entre une église et une salle des fêtes, un jour de communion solennelle.
De les regarder des années après, l’une marchant au rythme de l’autre, absorbées dans leur conversation, ne me voyant pas les photographiant, prélever un instant de ce jour ensemble.

Désormais c’est au tour de ma mère de marcher ainsi. Elle n’en a pas peur, non.
C’est de ne plus avoir sa mère qui la fait souffrir,
d’être seule devant.

Ensuite, ce sera à moi.

Nous aurons fait l’un après l’autre, nous suivant, un bon bout de chemin.

Voilà à quoi je pense devant cette photo, ma famille en marche.
Moi. Mes enfants. Ma mère. Et mes deux grand-mères.
Je les vois encore, ce jour-là, vingt ans de ça au moins, marcher bras dessus bras dessous.

Texte de Lignes de vie

Voici le chemin vers mon texte accueilli par mon complice Gibi.

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Les autres participants:

Humeur Noirte et Anna de Sandre
L’exil des mots et Juliette Mézenc
Petite Racine et Scriptopolis
Robinson En Ville et le Fourbi Élastique
La Méduse et le Renard et Etc-iste
Anne Savelli et Christine Jeanney
LeRoy K. May et Marie-Helene Voyer
PCH de PDLW et L’Employée aux écritures
“À chat perché” et Anthony Poiraudeau
Terres… et Soubresauts
François Bon et Pierre Ménard
Journal Contretemps et Journal Écrit
Les lignes du monde et L’œil ne se voit pas lui-même
et Paumée, finalement seule.
L’arbre à palabres et Clopineries

[Vases] Six pieds [communicants]

«(…) pourquoi ne pas imaginer, le 1er vendredi de chaque mois, une sorte d’échange généralisé, chacun écrivant chez un autre ? Suis sûr qu’on y découvrirait des nouveaux sites (…)».

François Bon et Scriptopolis ont lancé l’idée des Vases Communicants.

Aujourd’hui La Méduse et le renard et Enfantissages s’invitent réciproquement.

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Six pieds

Trois paires de souliers

Il a déterré six pieds. Différentes pointures, mais de beaux pieds. De ceux dont on se satisfait qu’ils marchent dans les excréments, de ceux qui laissent le mauvais pied se lever à leur place. Il les a bichonnés, les a cirés, les a apprêtés en grandes pompes, les a brossés dans le sens du poil. Sur le chemin du retour, il ne pouvait s’empêcher de jeter un œil sur les pieds qu’il avait disposés en éventail dans sa besace. Il les tripotait machinalement, et quand sa main se refermait sur l’un d’eux ils étaient comme pieds et poings liés. Sur un pied d’égalité. Il se demandait pourquoi les mains avaient toutes les faveurs qui manquaient aux pieds.
Une fois chez lui, il a trouvé chaussure à chaque pied. De beaux souliers vernis, brillants comme du poil de renard dans l’huile d’olive. Il les a disposés sur une vieille commode qui n’avait pas accueilli de pieds depuis qu’on avait accroché les vieux tableaux de son arrière grand-mère très haut sur le mur du salon.
Cette nuit-là, il n’a pas dormi. Trop absorbé à contempler ses pieds. De ravissantes sculptures, des bouts de chair humaine taillés sur mesure pour les six souliers vernis qui les attendaient. Chaque fois qu’il clignait des yeux, il redécouvrait de nouveau ses pieds dans leurs souliers. Il faut dire qu’ils n’étaient pas mal non plus les souliers. Ils avalaient la lumière de la pièce et ne la rendaient pas. Ils étaient protecteurs. Noirs, très noirs, de belles pompes funèbres dans la lueur de la bougie. Sur le matin, il s’est endormi. Il n’a pas pu lutter. Mais quand il s’est réveillé, ils étaient toujours là. Il a souri. De ces sourires dont on se décrocherait la mâchoire, assurément. Mais quand il a baissé la tête, il a bien vu que lui n’avait toujours pas de pieds. Il s’est tout de même senti chanceux. C’était pas donné à tous les culs-de-jatte, d’avoir six pieds flambants neufs sur la commode du salon.

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Les autres participants:
Ligne de vie et Balmolok
Biffures Chroniques et L’arbre à palabres
Frédérique Martin et Humeur noirte
Annie Rioux et Philippe Maurel
Tentatives et Brigitte Célérier
Pierre Ménard et Joachim Séné
A chat perché et Kill me Sarah
Petite racine et Juliette Mézenc

Et le chemin vers mon texte accueilli par mon complice : http://lameduseetlerenard.blogspot.com/2009/11/special-vases-communicants.html