Un coeur

Trois fleurs sur la Lune. Iris, opale, verdoyante. Elles frémissent sous la caresse du vent solaire. Leurs pétales s’ouvrent et se referment comme un cœur qui bat. Diastole, systole. Un cœur qui bat. La lumière, poudre d’or en suspens, immobile, figée dans le vide, attend de reprendre sa course.

Il y a en moi ce vide, là, au centre, cette béance dans le plexus solaire, cette plaie qui saigne et qui ne guérit pas faute de mots. Ces mots, qu’il suffirait de prononcer pour tout effacer, pour que la lumière file son rayon glacé, pour que l’arbre sec fleurisse à nouveau et la source bouillonne une eau de vérité.

À la place des mots, il y a cet œil qui larmoie et me surveille, de loin. Muet, sourd aussi peut-être.

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 25 mars 2007.

Elégie

Triste ou tendre la voûte
Envolée par la porte
Dérobée dans ce cadre noir
Puits d’ombre écoute
L’arc qui se dissout
Quand viendra voir
Par la fente rayée
D’un volet déplié
Les feuilles mortes
Evaporées
Dans les vestiges du soir

D’autres portes et fenêtres.

Au petit matin

Assise sur le canapé, j’écoute les bruits du dehors, les bruits de la ville. Le clapotis de talons féminins sur le trottoir, un engin mécanique plus loin. Une porte de voiture claque. A l’intérieur, j’entends le goutte-à-goutte des radiateurs, le ronronnement de l’ordinateur. Une tension dans les épaules et dans le dos m’empêche de me détendre. Je n’ai pas encore ouvert les volets. Je ne veux pas réveiller mon tout-petit qui dort à côté.

Le téléphone a sonné, je n’ai pas pu répondre. Que lui dire ? Comment lui dire que je n’ai pas envie de la voir, elle, la veuve, la mère de ma mère. Je n’ai même pas vraiment élucidé pourquoi. Peut-être parce qu’elle vampirise son entourage. Une demande affective que personne ne pourrait assouvir, qui épuise celui qui en fait l’objet. Je ne veux plus, c’est mon leitmotiv. Je ne veux plus me sentir aspirée, vidée de ma substance, utilisée aux fins de combler des besoins aussi puissants que destructeurs, par ces mères, ces mères de mères.

J’ai tellement maigri ces derniers mois, comme si cette perte de substance, ce « vol » de substance, s’était inscrit dans ma chair. C’est étrange comme le bonheur que m’apportent l’homme et l’enfant avec lesquels je vis, peut côtoyer ce désespoir, la descente dans ce puits sans fond.

Mais, c’est justement parce qu’ils sont là, que je peux plonger dans ces eaux noires, oser faire un pas, puis un autre dans la nuit. Ils seront là, au petit matin, pour m’accueillir.

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 22 mars 2007.

Réprimer ses émotions

Dans mon enfance, j’ai dû apprendre à réprimer mes réactions les plus naturelles aux blessures (par exemple la rage, la colère, la douleur ou la peur), de crainte d’une punition. Plus tard, à l’école, je fus même fière de mon aptitude à la maîtrise de soi et à la retenue. Je prenais cette capacité pour une vertu, et en attendais autant de mon premier enfant. C’est seulement après avoir réussi à abandonner cette vue de l’esprit que je parvins à comprendre la souffrance d’un enfant auquel on interdit de réagir de manière appropriée à une blessure. On l’empêche ainsi d’expérimenter, dans un entourage bienveillant, la façon de se comporter envers ses émotions, afin que plus tard, au lieu de craindre ses sentiments, il puisse s’appuyer sur eux pour mieux s’orienter dans la vie.

Alice Miller, Notre corps ne ment jamais, Flammarion, 2004.

Laisser

L’angoisse revient. Je raconte, sans raconter. Pas d’histoire, que des pensées. Déformées par les maux de têtes qui récidivent ces dernières semaines. Par moments, je me sens libérée, à d’autres, acculée comme une bête traquée. Je les repousse, je veux prendre mes distances, mais ils tirent sur la corde qui me lie à eux. Je les sens à l’autre bout de cette corde, qui, comme une laisse, m’empêche de m’évader, ils y font un nœud qui m’asphyxie. Cette corde -ce cordon dirai-je avec ironie et amertume-, c’est tellement difficile de la couper. Elle est trop grosse, trop solide. Je n’ai réussi qu’à l’user un peu.

Aujourd’hui, je me sens cernée de toutes parts, il y a comme un brouhaha sourd qui règne dans ma tête, une multitude de voix qui chuchotent. Et je ne comprends ce qu’elles disent. Peu importe.

C’est bizarre ce mot «laisse». Laisser, laisser un peu de liberté au bout de la corde?

Laissez, laissez-moi partir!

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 21 mars 2007.

Bloguer ou ne pas…

Depuis que je tiens ce blog, c’est-à-dire pas très longtemps, je me demande régulièrement si vraiment je devrais continuer. Est-ce une forme d’expression qui me convient? Comme à mon habitude, je n’arrive pas à vivre la chose avec légèreté. Non pas qu’il s’agisse d’une activité (forcément) frivole, mais je m’y investis émotionnellement à l’excès, et par conséquent, le plaisir d’écrire et de simplement partager n’est pas toujours au rendez-vous. Quand certains arrivent à vaincre leur timidité par le truchement de leur blog et se laissent aller à se montrer sans crainte, moi, je n’y arrive pas. Je ressens ici les mêmes blocages que dans la vraie vie, la même peur de passer inaperçue derrière ma réserve, la même difficulté à aller vers les autres pour créer des liens.

Etrangement, j’ai la nostalgie de ce carnet que j’ai tenu quelques mois, avant celui-ci. J’y avais moins l’attente d’être lue, je lançais mes mots comme des bouteilles à la mer. Je n’avais à ma connaissance que quatre lectrices, mais leur fidélité et leur amitié me touchaient plus que tout.

Pourtant j’ai envie de persévérer, ici, dans mon nouveau chez moi. Mais quelques changements s’imposent. Premièrement, je vais reprendre mon ancien pseudo, Sérénissime. Même si la sérénité n’est pas exactement ce qui me caractérise, je m’y reconnais plus, tout simplement. C’est Venise qui me l’a inspiré, et Gracq et son Rivage des Syrtes, deux lieux dans lesquels je me sens bien, qui appartiennent à la trame de mon histoire. En revanche, Apprentie -même si cela évoque en quelque sorte une réalité quotidienne, celle d’apprentissages toujours renouvelés, encore et encore- ce n’est pas moi, il y a quelque chose dans la sonorité qui ne chante pas en moi. Alors exit, Apprentie, je « retourne vers moi » et les prochains articles seront écrits par Sérénissime.

L’autre changement que je voudrais mettre en oeuvre concerne les catégories de ce blog. J’ai du mal avec cette notion. D’ailleurs, l’une des raisons pour lesquelles j’avais opté pour WordPress était cette possibilité de ranger un article sous plusieurs catégories. Je préfère de loin le système des mots-clés, dont j’use et abuse avec gourmandise. Supprimer les catégories? Mes articles ne peuvent prétendre à l’unité de ton ou de style d’une certaine porte ouverte par exemple. Et ni à venir se ranger sagement dans des tiroirs prédestinés par moi-même. Sans doute est-ce le chaos dans mon esprit, comme l’expression d’un refus. Un refus dans lequel je me reconnais tout entière pour le coup!
Alors le chantier est ouvert. D’ailleurs si vous avez des suggestions, je suis tout ouïe.

Ligne d’horizon

Un sac de courses au bout de chaque bras, je me sens étrangement soulagée par ces poids qui me lestent. Ancrée dans le macadam à la lueur des réverbères. J’avais donc si peur de n’être plus rien, prête à disparaître, déclinant comme ma courbe de poids au fond de la mer? Je suis là. N’en déplaise à ce tourbillon qui m’aspire aussi facilement qu’un fétu.

A part ça, ma participation au concours de vélos chez Gilsoub et Jathénaïs:

A l’horizon

Soledad

Vivre en ours, vivre en hibou, se confiner, se cantonner, se barricader, monologuer. A part, à l’écart, en aparté. Sauvage, solitaire, soliloque. Se réfugier derrière les mots, se cacher dans leur épaisseur, se pelotonner dans leur bruissement. Ecouter une mélodie ténue comme un fil de soie, sentir ce voile en soi qui ondule, à peine, sous le souffle d’une vie.

Improvisation

Mon cœur se serre. Qu’ai-je fait? je ne sais pas. Je ne le saurai jamais. C’est étrange, laisser courir ses doigts sur le clavier sans savoir, savoir quoi? savoir ce qui va sortir. De la chrysalide? Non, juste du mouvement des doigts sur un clavier. Comme une impro sur un piano. Des combinaisons de lettres et de mots, comme des accords ou des mélodies. Un chant émerge parfois. Une voix douce, aiguë, fluide. Des cordes pincées sur une guitare. Une brèche s’ouvre dans mon crâne et un courant d’ondes s’en échappent. Une poussière de météorite et d’étoile. Les voix se mélangent. Mon tout-petit rit et toutes les tensions se relâchent. Toutes, non. Mon front se plisse. Le soleil m’inonde de sa chaleur et mes yeux se ferment.

Je vois des fleurs qui s’ouvrent et se referment dans toute la grâce de leur transparence, puis une prairie ou un torrent. J’ai chaud et froid. C’est juste un nuage qui passe.

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 20 mars 2007.

De la rue Montmartre à l’Hôtel de Ville

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Il est 21h30. Jean Jaurès se trouve au « Café du Croissant », à l’angle de la Rue du croissant et de la Rue Montmartre. Il y a trois détonations: deux balles lui perforent le crâne et une balle l’atteint à la poitrine. L’assassin est Raoul Villain, un rémois de 29 ans, étudiant en archéologie à l’école du Louvre, et surtout adhérent de la Ligue des jeunes amis de l’Alsace-Lorraine, groupement d’étudiants nationalistes.

(Wikipédia)

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Hard discount dans immeuble haussmanien qui accueillit les locaux du journal L’Aurore.

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Mon devoir est de parler, je ne veux pas être complice. Mes nuits seraient hantées par le spectre de l’innocent qui expie là-bas, dans la plus affreuse des tortures, un crime qu’il n’a pas commis.

(E. Zola)

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On aperçoit le chevet de l’église Saint-Eustache, et tout au fond, la tour Saint-Jacques.

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Vue sur l’Hôtel de Ville depuis le 6e étage du Bazar de… l’Hôtel de Ville.

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L’amour, la vie, la liberté

S’il doit vraiment y avoir un Dieu d’amour, il ne nous imposera pas de sanctions. Il nous aimera tel que nous sommes, il n’exigera pas notre obéissance, il ne se sentira pas insécurisé par la critique, il ne nous menacera pas de l’enfer, il ne nous fera pas peur, il ne mettra pas notre loyauté à l’épreuve, il ne se méfiera pas de nous, il nous laissera vivre nos sentiments et nos pulsions – sûr que nous serons capable, à partir de cette base, d’apprendre l’amour fort et authentique, l’amour qui est tout le contraire du sentiment du devoir et de l’obéissance et qui ne s’accroît que de l’expérience d’être aimé. On ne peut pas éduquer un enfant à aimer, ni avec des coups, ni avec des bonnes paroles; il n’est pas de recommandation, de leçons de morale, d’explication, de modèle, de menace ni de sanction qui puisse rendre un enfant capable d’aimer. Un enfant à qui l’on fait des leçons de morale apprend à faire des leçons de morale, et un enfant à qui l’on donne des coups apprend à donner des coups. L’éducation peut faire d’un homme un bon citoyen, un courageux soldat, un juif, un catholique, un protestant, un athée, et même un psychanalyste orthodoxe, mais pas un être vivant et libre. Or seuls ces deux derniers attributs, la vie et la liberté, et non les contraintes de l’éducation, ouvrent la voie de la véritable faculté d’aimer.

Alice Miller, L’enfant sous terreur, Aubier, 1986.

Vivante

Je ne peux revenir en arrière. Mon corps se révolte à cette idée, me crie que ça lui est impossible. J’en ressens un soulagement immense, qui panse les effets d’un deuil que j’ai mis bien trop longtemps à faire. Aussi, le soulagement côtoie le sentiment de culpabilité, et la colère, et la dépression. Je descends dans mes enfers à la recherche de mon ombre, ou à la recherche de mon moi vivant? Oui, de moi vivante! Je suis en train de renaître. Enfin… je crois. Je l’espère de tout mon être. La rechute est-elle tapie derrière la porte? Patience, respire, tu aperçois un rai de lumière dans les ténèbres où tu avances. C’est peut-être le bandeau devant mes yeux qui devient un peu lâche et me laisse entrevoir la vérité.

Je ressens parfois de la nostalgie, et même de la tendresse envers ceux qui m’ont tellement blessée. Je ne sais si je dois m’en méfier, ou comprendre qu’il s’apaise quelque chose en moi. Je ne veux plus enfouir ma colère, elle est mon garde-fou, ma sentinelle.

J’attends, curieuse. Qui va sortir de cette chrysalide? A quoi ressemble ce moi vivant avec lequel je me suis donné des rendez-vous sans cesse reportés?

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 14 mars 2007.