Préhistoire maternelle, 1

Aussi loin que mes souvenirs remontent, j’ai désiré être mère. Comme certains enfants ont un ami imaginaire, moi j’avais… un enfant imaginaire. Je le portais en moi, et lui parlais longuement. J’avais ce besoin de lui transmettre mon expérience, mes émotions, mes réflexions, ce que suscitait en moi le monde dans lequel je grandissais. Un petit moi, peut-être, certainement même, avec le recul. Je n’aimais pas mon enfance et je savais déjà que je ferai autrement, avec mes enfants. Je savais qu’un enfant qui ment n’est pas un menteur, mais quelqu’un qui a peur, je savais qu’un enfant n’est pas coupable, mais le prétexte aux disputes de ses parents.

Parfois, mais pas assez souvent à mon goût, je rêvais de cet enfant, ou que j’étais enceinte. Ces rêves étaient remplis de sensations inconnues de moi dans le monde éveillé, et je me demandais si c’était celles que je connaîtrais en temps voulu. Que j’aimais ces rêves…

Depuis toute petite j’avais des chats, et longtemps il m’est arrivé de rêver que j’étais la maman de chatons. Je me souviens d’un particulièrement, lorsque j’avais 18 ou 19 ans. Dans une portée de chatons, l’un d’eux était différent, par sa couleur, jaune, et parce qu’il était tout petit et frêle. Il était rejeté par les autres. Envahie par des émotions très puissantes, je me suis réveillée en pleurant, et l’intensité de ce rêve, et ce petit chaton jaune, et les larmes, m’ont accompagnée non seulement tout ce jour-là, mais aussi longtemps par la suite.

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Hésitation

La légèreté me fait cruellement défaut. Je suis timide et réservée, trop polie. Tout en retenue. J’ai cet air sage et fragile des enfants silencieux. Je préfèrerais paraître sauvage et farouche comme les chats, auxquels pourtant je ressemble parfois.

Tout en retenue. La plume reste en suspens, les doigts se figent sur le clavier. Et si… Et… Mais… Allez… Mais non, je n’y arrive pas… si, si… tu vois, allez… non, je ne peux pas…

Et si… enfin j’étais… moi ?

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 4 mars 2007.

Rares et précieux

Fusées Abricotine
Bousingot
Chapechuter
Diérèse
Ebiseler
Flavescent
Goétie
Happelourde
Immarcescible
Javeau
Kéraunoscopie
Luberne
Méchine
Nictation
Ochlocratie
Palpébral
Quilboquet
Remontadoire
Sauveterre
Torquette
Urticin
Vagant
Warretée
Xénie
Yolier
Zététique
Timidement

Dictionnaire des mots rares et précieux, 10/18.
Dictionnaire des mots rares et précieux

On joue au jeu des définitions?

Le bout du rouleau

Je m’attendais à ce que faire avancer plus radicalement les choses serait difficile et douloureux. Je crois qu’une partie de moi croyait à un miracle, à une guérison spectaculaire… Il n’en est rien. Mon corps me fait douloureusement sentir que ces liens — ces entraves — que j’essaie d’arracher sont bien ancrés en moi. J’ai maigri, j’ai les entrailles qui hurlent leur peur, je suis fatiguée, si fatiguée…

Je ne peux, ni ne veux revenir en arrière. La culpabilité me ronge et la peur, la peur panique de l’abandon. Il y a une petite fille en moi, terrorisée. Mais je ne peux revenir en arrière, reprendre ces mots que je leur ai dits, la vérité, ma vérité. Peut-on vivre toute sa vie dans la peur, le mensonge, l’hypocrisie? Pieds et poings liés à en étouffer? Oui bien sûr, tellement de gens vivent de cette manière. Mais je ne peux plus. Je me sens comme une plante aux feuilles jaunies, par défaut de lumière et de soins; comme ces princesses de contes, enfermées dans la plus haute tour du château.

Je suis arrivée au bout du rouleau et c’est une excellente chose. Un rouleau si long, que j’aurais pu ne jamais en voir la fin. J’ai tellement appris à supporter d’être si mal aimée. Supporter cette souffrance, le prix à payer pour quoi? ne pas être abandonnée? cruelle ironie finalement. Il n’y a pas besoin d’être conduit au fond de la forêt pour se sentir seul.

Aujourd’hui, j’ai choisi de descendre aux enfers, affronter mes démons, et me vider de toutes les peines du monde. Mais, comme Dante, j’ai un guide; et des soutiens aussi, l’homme de ma vie et un petit enfant, si petit, et si vivant…

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 28 février 2007.

Histoires…

Dans ma pile de livres à lire, deux livres d’Histoire:

Philippe Ariès

L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime (1973), de Philippe Ariès. Un livre cité dans Insoumission à l’école obligatoire, de Catherine Baker, et aussi dans Une société sans école, d’Ivan Illich, par exemple ce passage de la préface:

(…) A partir de la fin du XVIIe siècle, un changement considérable est intervenu dans l’état de moeurs que je viens d’analyser. (…) L’école s’est substituée à l’apprentissage comme moyen d’éducation. Cela veut dire que l’enfant a cessé d’être mélangé aux adultes et d’apprendre la vie directement à leur contact. Malgré beaucoup de réticences et de retards, il a été séparé des adultes, et maintenu à l’écart dans une manière de quarantaine, avant d’être lâché dans le monde. Cette quarantaine, c’est l’école, le collège. Commence alors un long processus d’enfermement des enfants (comme des fous, des pauvres et des prostituées) qui ne cessera plus de s’étendre jusqu’à nos jours et qu’on appelle la scolarisation.

Plus récent, Le petit livre des couleurs (2005), de Michel Pastoureau et Dominique Simonnet.

Le petit livre des couleurs

La quatrième de couv:

Ce n’est pas un hasard si nous voyons rouge, rions jaune, devenons verts de peur, bleus de colère ou blancs comme un linge. Les couleurs ne sont pas anodines. Elles véhiculent des tabous, des préjugés auxquels nous obéissons sans le savoir, elles possèdent des sens cachés qui influencent notre environnement, nos comportements, notre langage, notre imaginaire. Les couleurs ont une histoire mouvementée qui raconte l’évolution des mentalités.
L’art, la peinture, la décoration, l’architecture, la publicité, nos produits de consommation, nos vêtements, nos voitures, tout est régi par ce code non écrit. Apprenez à penser en couleurs et vous verrez la réalité autrement!

Laisse advenir

Après mon accouchement qui a bien failli se terminer en césarienne d’urgence, je me suis sentie trahie, par mon corps qui était censé savoir accoucher, par ma sage-femme, par tous ces récits de naissance idylliques dont je m’étais abreuvée. J’ai aussi accusé mon obstination, mon entêtement à réussir. Oui, je voulais réussir. J’étais convaincue que j’allais réussir. Dans ma préparation mentale, j’avais envisagé que les choses pouvaient mal se passer, mais c’était pour exorciser ma peur. Je n’y croyais pas. Je m’étais avant tout concentrée à apprivoiser cette douleur inconnue que je voulais affronter.

Quand tout a dérapé, que l’échec a surgi comme un spectre, sur l’autre planète sur laquelle, pourtant, j’avais été transportée, une autre sage-femme, venue en appui, m’a parlé doucement. Je ne me rappelle que sa voix douce et consolatrice et peut-être quelques mots, « on ne peut pas tout contrôler », « lâcher-prise ». Est-ce les mots qu’elle a employés je ne sais pas. Je me souviens que je ne comprenais pas ce qu’elle disait, juste que sa voix m’apportait comme une ombre de soulagement. Contrôle? Je ne me sentais pas concernée. Comment pouvais-je plus lâcher-prise? Comment pouvais-je plus me laisser aller? Que pouvais-je contrôler quand la douleur me prenait et m’étreignait avec une force inouïe puis me rendait au monde comme un navire échoué sur une plage? J’avais accepté cette douleur, et la colère, et la lassitude, et la joie, et la peur, et l’impatience, toutes les émotions qui jaillissaient comme une foule hurlante et murmurante à la fois. Que pouvais-je lâcher encore, que pouvais-je laisser encore échapper de moi, sinon cet être étrange qui m’habitait?

Qui m’habitait et tardait à prendre son envol, tête défléchie, ça n’arrive qu’une fois sur dix. Alors? Le hasard? L’absence de hasard? Un noeud bien emmêlé de petits fils, faudrait-il tirer sur chacun pour remonter jusqu’au coeur?

Depuis des mois, ce besoin de réponses me poursuit comme un essaim d’abeilles.

Et puis, ces jours-ci, une lueur de compréhension semble faire route jusqu’à moi. Un point de lumière dans la brume qui m’enveloppe. Je ne saurais le traduire en mots, tellement c’est ténu.

Mais voilà qu’un voile sombre s’est envolé…

Les bienfaits de la colère

Alice Miller parle beaucoup de la colère et de la haine. Ces émotions ne devraient plus nous détruire du moment que nous pouvons clairement identifier les personnes qui nous ont fait souffrir, c’est-à-dire le plus souvent nos parents. Ces émotions sont douloureuses, mais elles sont la preuve que nous sommes bien vivants. Leur résurgence nous rappelle ce que nous avons subi et nous aide de cette manière à rester lucide. Elles sont des signaux d’alerte que la situation que nous vivons nous fait violence, tout comme certaines manifestations de notre corps.

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 12 février 2007.

Fatigue

Je ressens tout à coup une immense fatigue. Comme si chaque victoire devait se payer chèrement. Je crois que mon pire ennemi reste cette peur terrible de l’abandon et de la solitude.
Se dire, on ne peut abandonner l’adulte que je suis. Se le dire, se le dire…

Dernières traces d’un autre carnet
Sérénissime, 11 février 2007.