Un mur trois quarts, par Luc Lamy

armée

-El’chef Laumann…/… Jodoigne…/… à Peutie…/… un mur trois quarts…/… camionnettes vé-oué…/… douze véhicules…/… règlements…/… tout par cœur…/… Importance de l’information.
Dans ce bureau exigu
affublé du plus Tartuffe des deux…
Celui-ci soliloquait,
ressassant toujours les mêmes histoires
Leurs histoires au chef et à lui dans une autre caserne
du temps de Peutie,
quinze cents mots de vocabulaire,
forcément la syntaxe à ce prix-là,
laisse à désirer…
L’autre est en congé aujourd’hui,
(deux mille mots que je l’appelle )
il marie sa fille,
et en plus ça se reproduit ces trucs !
je lis “le voyage au bout de la nuit”
sous le bureau,
m’enfonçant davantage dans la grande muette,
faisant semblant de l’écouter en bon chien d’arrêt,
puis je brise le silence (c’est intelligent et susceptible malgré tout ces animaux-là,
faut pas les avoir à dos ! )
-Chef?
-Oui Marc?
-quand le chef n’est pas là
… Qu’il est malade ou qu’il marie sa fille,
c’est vous le chef alors?
-Oui Marc.
Content de ma petite diversion je me replonge dans Bardamu
en miroir du bouquin j’ai l’un des deux tarés devant moi
… Faire comme si j’étais plus bête qu’eux, que lui.
Y a du travail…
Des films de guerrr’ à rattraper,
une culture radio à revoir,
un univers de petites mesquineries à mettre au point pour détourner le minotaure,
des blagues de blondes et des troisièmes mi-temps de foot.
On apprend vite à être lâche et veule avec les petits caporaux… Chefs,
quand on est troufion
– Marc?
– Oui chef?
– à midi, quand t’iras à la cantine… t’iras brûler ce dossier ”top secret”
– Oui chef.
-… Et attention à ne pas le lire, hein ?!
– Ben non chef.
(silence)
– tu veux quand même voir ce qu’il y a d’dans ?
(re-silence)
– ben non vous venez de me dire que c’était top secret
– Allez! viens le lire, regarde (il ouvre la chemise)
je jette un œil circonspect mais néanmoins suffisamment appuyé pour qu’il croit que ça m’intéresse au plus haut point: rien d’intéressant, des chiffres, des lettres, des références…
– t’as vu ?
-Quoi ?
-On ne comprend rien…
-Ben oui.
– C’est codé! y a pas de danger !
(il remet tout dans le classeur et claque l’élastique avec un petit air important).
… Etc.
Zangra sans bataille, il pose le dossier où la fin du monde est inscrite en langage codé à côté de mes petits tampons et cachets
Mais chef…
-il n’y a pas de « mais », on est au mois de Janvier…
Et pas au mois de Mai
çà aussi c’était une pierre angulaire de son esprit qui le propulsait dans les hautes sphères…
Le cerveau au point mort, le plexiglas terne dans le regard,
sûr de son effet il tétait distraitement une mouche invisible…
Sa bouche de grenouille achevait l’illusion.
Sûr de son savoir et de ses choix…
trop jeune pour faire la seconde der des der,
il aurait battu en retraite à la troisième…
La retraite ? il comptait les jours…
Petite victoire sur le terne calendrier de sa guerre personnelle
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(Caporal-chef “Quinze cents mots” , ‘81 ).


Une superbe petite VCF (volontaire féminine de carrière)
chauffeur du colonel,
entra en trombe dans le bureau pour sa feuille de route,
suivie de près par un autre caporal toutes gourmettes dehors,
Raybans de pilote, talons ferrés …
Une vraie caricature celui-là, et méchant avec ça:
l’a fait les faits divers plus tard …
Filmé par Manu, dans “les amants d’assises” il n’en menait plus aussi large sur le banc des accusés… Braquemart en berne.
Pathétique et défait ils avaient, sa maîtresse et lui, estourbi à coup de revolver de service,
le mari de la dame.
Pas bien çà !
Alors? On a arrosé le cresson hier soir ?
demanda l’autre…
Leur posant la question à tous les deux…
A votre avis ? fit ce crétin de “braquemart hissé ho”
Et l’autre de continuer de téter son diptère…
Rêveur et salace, il se perdait dans le bouton à moitié défait de la VCF,
à coup sûr il bandait l’imbécile avec ce qui lui restait de limace dans le froc.

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(Sergent-chef “Deux mille mots” , ‘81 ).

Qu’ils étaient drôles mes chefs !

Luc Lamy
***
Mon texte chez Luc c’est par ici.
***

Liste des participants aux Vases communicants de février :
Aedificavit et Tentatives
Futiles et graves et Juliette Mezenc
à chat perché et Hervé Jeanney
Lieux et Arnaud Maïsetti
L’employée aux écritures et Hublots
Le blog à Luc et Enfantissages
Koukistories et Biffures chroniques
Soubresauts et Kafka transports
Pendant le week-end et Kill that marquise
Le Tiers livre et Fragments, chutes et conséquences
Scriptopolis et CultEnews
Liminaire et Litote en tête
Les lignes du monde et Abadôn
Pantareï et Éric Dubois
Les marges et Paumée
Lignes de Vie et Epamin’

20 réflexions sur « Un mur trois quarts, par Luc Lamy »

  1. ça me rappelle mon adolescence le nez dans San-Antonio.
    « avec ce qui lui restait de limace dans le froc » je crois bien que j’aime… Tu dessines comme ça et tu mets des femmes zèbres en photo?! ;)

  2. Tu m’énerves ! qu’est-ce que t’écris bien, flûte alors !
    « un univers de petites mesquineries à mettre au point pour détourner le minotaure »
    « téter le diptère »
    etc.
    (m’agace ce garçon. A un point. Oh làlà !)

  3. C’est vrai, très énervant là, en plus de dire tout le temps qu’il n’est pas bon pour les textes !!! excellent ! on y est … et moi, quand il claque l’élastique d’un air important et qu’il tête la mouche ce c … j’ai envie de grrrr ! surtout s’il m’appelle superbe petite VCF !!!!!!!roooohhhhh!
    ah puis les dessins, le coup de crayons … nan mais c’est …!

  4. Il a pas la langue dans sa poche son Luc! Bien vu, bien dit (écrit). Et sensible avec ça sous ses dehors de… Moi, je dirais Frédéric Dard ou Blondin…

    Déjà dit mais les types qui dessinent comme ça me font chi… Ça devrait pas exister!

    (Histoire vécue donc. Ah l’armée belge, parmi les meilleures du monde, j’aurais dû m’engager.)

  5. @brigetoun:… Je n’ai aucun mérite, il suffisait de recopier les modèles à l’écrit comme au dessin ;o)
    @Anna de Sandre: voir brigetoun… Et pour ce qui est des figures et des comparaisons je suis né comme ça, z’ont oubliés de couper au sortir de la maternité, ce qui dépassait .o)
    @kouki: c’est un peu mon métier le dessin, depuis le temps… Ici encore emprunté par la bd et son côté anecdotique.
    @luc: je ne te cause plus.
    @cjeanney: le pauvre doit se retourner dans sa tombe, Bérurier aussi ;o)
    @Depluloin: Blondin ? vous me touchez…
    Mes seize-dix-sept ans ont été bercés par lui, fallet, Breffort et leur bande de joyeux drilles…
    Toute une époque mon bon monsieur !!!
    Quant à l’armée: bu jusqu’à la lie cette GROSSE foutaise de tartine de merdre…
    Non, je n’ai pas aimé !
    et puis j’ai HORREUR des armes.
    … Mais la petite VCF… mmmh !?
    nan ! même pas !
    quelle conne de s’être engagée !!!

  6. Quel talent ce Luc! Simple curiosité : vous avez été, comment dit-on, dessinateur judiciaire? Ça me parait trop précis, trop bon pour ça…

    (Ah mais fallait faire para! du pays, des femmes, de l’humanitaire, des muscles… ;))

  7. @Depluloin: ah cette façon que vous avez de passer de la pommade… Vous m’apprendrez un jour dites…
    Pas dessinateur judiciaire, ça ne m’aurait pas déplu (Duplu)
    Les paras ?
    vraiment ?
    il faut tenir une arme ou bien ?
    ça a l’air intéresant ?
    avec des fleurs vous dites ?
    @florence Noël: faites pas attention à Depluloin …
    il est farceur…
    Merc(k)i pour la leçon d’escrime (et non pas d’ice cream)
    je passe vous lire dans le week end…
    Cette toile est décidément chronophage !

  8. 2000 mots, c’est pas mal je crois. Je ne me souviens pas bien mais j’avais été très surpris par une étude sur le vocabulaire des Rousseau ou Flaubert. Une bêtise peut-être mais c’était dans les trois mille mots pour l’un, un peu plus à peine pour l’autre.

    Et puis regarde, avec tes sept cents mots comme t’écris bien! :)

  9. @ Luc, je te recommande la lecture des « Carnets d’Oflag » de Georges Hyvernaud (au Dilettante). Il a le même fond de commerce et ça devrait te plaire car il croque une personne en quelques mots.

  10. @Depluloin: Kafka pas mieux je crois… Trois mille ou un truc du genre… Mais l’ennui avec ceux-ci (à l’armée) c’et qu’ils mettaient tout dans le désordre ;o)
    @Frédérique M: c’est noté… En espérant que je n’oublierai pas ma liste de courses à la maison quand je vais au magasin oussqu’il y a des livres ( sept cents mots… Donc je ne connais pas le nom ;o)

  11. Dessins fabuleux : grosse jalousie, savoir dessiner !…..
    Le texte m’a rappelé le temps du service national. Vous avez remarqué que je n’ai pas parlé du « bon vieux » temps, c’était vraiment nul.

  12. @Juliette: le capo chef…
    C’était un méchant…
    Il suintait l’envie de sa troisième sardine de sergent pour la pension.
    Tout sauf un homme bon.
    En regard, « deux mille » mot était gentil, soupe au lait mais bon.
    @Le Gibi: bah ! je n’ai aucun mérite… Je n’ai jamais arrêté de dessiner depuis l’enfance.
    Et le fait de ne pas parler du « bon vieux temps »… Fait de vous un ami…
    (Je me suis juré aussi à l’époque de ne jamais parlé de çà comme çà plus tard… Je ne conteste pas que pour certains cela avait une « certaine utilité », notamment les analphabètes (5% en Belgique à l’époque) ou des gars trop jeunes qui prenaient de la graine sur un an… Avant de reprendre des études.
    Ami ! nous nous comprenons.
    @Enfantissages: merci de ton accueil dans tes murs…
    J’espère que le style n’a pas trop fait tache avec la fragilité toute en nuance de ta prose poétique… J’ai cherché un temps à faire dans la couleur, mais j’ai vite compris qu’on ne se mesure pas à plus grand que soi.
    Bonne route diraient les Kerouac, London and c°

  13. Luc, un grand merci à toi de m’avoir confié ce texte et ces dessins qui ont mis un brin d’humour et de fantaisie sur ce blog un peu trop sérieux. Ce fut un plaisir de t’accueillir (et puis Depluloin raconte n’importe quoi, j’ai tout retrouvé impec et en ordre en rentrant ;o) ).
    Bonne route et bon vent à toi aussi,
    la bise aux spéculoos, gauffres et frites (c’est ma grand-mère qui fait les meilleures, les gauffres et les frites ;o) )

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