Je m’imprègne de ces mots d’Etty:
En disant: « J’ai réglé mes comptes avec la vie », je veux dire: l’éventualité de la mort est intégrée à ma vie; regarder la mort en face et l’accepter comme partie intégrante de la vie, c’est élargir cette vie. A l’inverse, sacrifier dès maintenant à la mort un morceau de cette vie, par peur de la mort et refus de l’accepter, c’est le meilleur moyen de ne garder qu’un pauvre petit bout de vie mutilée, méritant à peine le nom de vie. Cela semble un paradoxe: en excluant la mort de sa vie on se prive d’une vie complète, et en l’y accueillant on élargit et on enrichit sa vie.
Et ces mots-là aussi:
La vie est belle et pleine de sens dans son absurdité, pour peu que l’on sache y ménager une place pour tout et la porter tout entière en soi dans son unité; alors la vie, d’une manière ou d’une autre, forme un ensemble parfait. Dès qu’on refuse ou veut éliminer certains éléments, dès que l’on suit son bon plaisir et son caprice pour admettre tel aspect de la vie et en rejeter tel autre, alors la vie devient en effet absurde: dès lors que l’ensemble est perdu, tout devient arbitraire.
Et encore ceux-là:
La vie est si curieuse, si surprenante, si nuancée, et chaque tournant du chemin nous découvre une vue entièrement nouvelle. La plupart des gens ont une vision conventionnelle de la vie, or il faut s’affranchir intérieurement de tout, de toutes les représentations convenues, de tous les slogans, de toutes les idées sécurisantes, il faut avoir le courage de se détacher de tout, de toute norme et de tout critère conventionnel, il faut oser faire le grand bond dans le cosmos: alors la vie devient infiniment riche, elle déborde de dons, même au fond de la détresse.
Des mots si graves qui sont pourtant un appel à la légèreté, à se désencombrer de soi pour se retrouver entier. Faire le vide et atteindre la plénitude et glisser au fil de la vie, plutôt que de s’accrocher vainement à ses aspérités.
Voilà des mots bien graves pour une réapparition, peut-être, sans doute, éphémère, peut-être pas. Je suis émue de voir les traces de vos passages et tout à coup vous me manquez. Une douce nostalgie me saisit parfois et m’a poussée aujourd’hui jusqu’ici. Un désir de solitude, d’enveloppement dans un grand tout. Alors je suis venue murmurer quelques mots et ceux d’une autre, morte à Auschwitz, il y a 65 ans presque jour pour jour.